Idées15 Juillet 2016 - 14:15
J’ai été à Nice au mois de mai dernier. J’y ai été en accompagnant un van d’enfants d’une équipe sportive valdôtaine. La plage a été la "récompense” pour leur engagement et c’est ainsi que je rappelle bien les rues étroites qu’on a sillonné dans la zone voisinant la Promenade des Anglais, où le van avait presque de la peine à circuler, ainsi que la difficulté à le garer enfin.
C’est pourquoi, dès les premières images relancées par les journaux télévisés hier soir, je ne cesse de me demander de quelle façon a-t-il été possible, pour un poids lourd, d’arriver - dans l’indifférence de tout organisme de contrôle - dans la zone la plus sensible de la ville (par ailleurs fermée à la circulation), dans le jour le plus délicat de l’année, dans une période à l’alerte haussée suite aux attentats de Paris.
Je crois que ces mêmes interrogatifs accablent tous ceux qui ont été à Nice aux moins une fois dans leur vie, mais le but de ces lignes n’est pas ni d’alimenter des arrières-pensées ou des conspirations (on les laisse volontiers à d’autres), ni de remplacer l’enquête judiciaire qui se développera des faits tragiques du 14 juillet 2016 (les organes préposés sont déjà au travail).
Le cas est, plutôt, de trouver une lecture globale à la question, parce que les attentats se répètent et cela semble nous manquer. Telle est la sensation, car à chaque occasion (et, malheureusement, elles sont devenues nombreuses entretemps), nous n’arrivons pas à aller au delà des différents #JeSuis…, #Prayfor… ou "Nous sommes tous français”, ou encore aux "avatars” tricolore sur les "social network”, connus à partir des attaques à la rédaction de "Charlie Hebdo”.
La solidarité est importante, bien sûr, mais entre un exercice de conscience et une prise de conscience la différence est diamétrale. Le premier s’achève par un "click”, la deuxième n’est pas immédiate à métaboliser et, surtout, n’est pas implicite de la part de tous.
Les démocraties de notre continent, les mécanismes qui les gouvernent et les valeurs qui les inspirent sont la conséquence d’un processus de construction collectif qui a démarré des cendres du deuxième après-guerre. Pour nous, il s’agit des meilleures formules visant à assurer une cohabitation civile, ou - pour rester aux termes pratiques - pour faire de façon que "ta liberté se termine ou commence la mienne”.
La culture occidentale présente des différences d’un Etat à l’autre, voire d’un peuple à l’autre, mais cette conviction a été, fort probablement, la seule à avoir constamment rempli un caractère vraiment collectif, l’unique à nous rassembler, à nous offrir une certitude. C’est pourquoi, il est encore plus difficile à accepter qu’au monde il existe non seulement quelqu’un qui ne partage pas cette vision, mais qui se pousse jusqu'à la combattre, avec les mêmes instruments et techniques d’une guerre. La guerre qui constitue, pour nous, un chapitre fermé il y à 70 ans, d’où notre peine à lire la situation.
Notre condition même d’occidentaux est gênante, elle représente l’"ennemi” à battre. Cela est difficile à accepter également du fait que l’"autre côté” du terrain de la bataille (que, entre autres, nous n’avons pas empruntée, d’où une ultérieure complexité) est invisible. Il faut, en fait, faire attention à ne pas se faire piéger dans l’identification de ce "quelqu’un”. L’Isis est la solution la plus rapide, surtout pour les médias, lorsqu’un terroriste suicide entre en action en Europe, mais la phase historique qu’on est en train de vivre est bien complexe.
La dimension économique, la crise, l’anthropologie et, dirais-je, même l’urbanisme (ou mieux la programmation des aires urbaines périphériques) y rentrent beaucoup plus que dans les saisons du terreur que différents Etats (parmi lesquels, sans doute, l’Italie) ont déjà vécu. Tout comme y rentrent des gouvernements occidentaux en débit de consensus, parfois en quête de raisons valides pour recourir aux pouvoirs spéciaux et d’autres fois encore trop peu scrupuleux dans le trafic avec les "Seigneurs de la guerre” d’autres latitudes. C’est la raison pour laquelle il faut dépasser les réponses immédiates, bien que le radicalisme soit une dénomination commune aux incarnations humaines de cet ennemi obscur.
Et après avoir pris conscience de tout cela, quoi faire? Comment se conduire après que cet invisible "quelqu’un”, s’opposant à notre vision de la vie, nous a démontré qu’il est à même d’entrer en action, et de semer ses graines de mort, tant dans une métropole, que dans une ville de vacances quelconque; tant un samedi soir, que le jour de la Fête nationale; tant dans un aéroport que sur une plage?
Je regarde une des photos que j’ai pris à Nice. Elle est en haut de cet article. Mon fils est avec ses copains, sur la plage en bas de la Promenade où, hier soir, plus de quatre-vingt personnes ont soudainement trouvé les dernières secondes de leurs vies et des centaines ont remporté des blessures qui ne les abandonneront jamais. La fin d’images du genre, des rires des enfants, des sourires des parents représente exactement ce que les trafiquants dans l’obscurité voudraient, en nous obligeant à rester chez nous, en alimentant la culture du soupçon, en arrêtant nos déplacements et, surtout, en nous portant à auto-limiter ces libertés pour lesquelles nos ancêtres ont lutté.
Ils ne m’auront pas. Ils ne nous auront pas. Ils ne doivent pas nous avoir. La normalité, non sur les "social", mais dans la vie quotidienne, dans nos choix, est la réponse que nous sommes tous tenus à offrir. Ce qui ne signifie pas faire semblant de rien, mais éviter d’offrir spontanément à ce "quelqu’un” ce qu’il attend depuis longtemps.
Christian Diemoz
Rubriques Idées
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J’ai été à Nice au mois de mai dernier. J’y ai été en accompagnant un van d’enfants d’une équipe sportive valdôtaine. La plage a été la "récompense” pour leur engagement et c’est ainsi que je rappelle bien les rues étroites qu’on a sillonné dans la zone voisinant la Promenade des Anglais, où le van avait presque de la peine à circuler, ainsi que la difficulté à le garer enfin.
C’est pourquoi, dès les premières images relancées par les journaux télévisés hier soir, je ne cesse de me demander de quelle façon a-t-il été possible, pour un poids lourd, d’arriver - dans l’indifférence de tout organisme de contrôle - dans la zone la plus sensible de la ville (par ailleurs fermée à la circulation), dans le jour le plus délicat de l’année, dans une période à l’alerte haussée suite aux attentats de Paris.
Je crois que ces mêmes interrogatifs accablent tous ceux qui ont été à Nice aux moins une fois dans leur vie, mais le but de ces lignes n’est pas ni d’alimenter des arrières-pensées ou des conspirations (on les laisse volontiers à d’autres), ni de remplacer l’enquête judiciaire qui se développera des faits tragiques du 14 juillet 2016 (les organes préposés sont déjà au travail).
Le cas est, plutôt, de trouver une lecture globale à la question, parce que les attentats se répètent et cela semble nous manquer. Telle est la sensation, car à chaque occasion (et, malheureusement, elles sont devenues nombreuses entretemps), nous n’arrivons pas à aller au delà des différents #JeSuis…, #Prayfor… ou "Nous sommes tous français”, ou encore aux "avatars” tricolore sur les "social network”, connus à partir des attaques à la rédaction de "Charlie Hebdo”.
La solidarité est importante, bien sûr, mais entre un exercice de conscience et une prise de conscience la différence est diamétrale. Le premier s’achève par un "click”, la deuxième n’est pas immédiate à métaboliser et, surtout, n’est pas implicite de la part de tous.
Les démocraties de notre continent, les mécanismes qui les gouvernent et les valeurs qui les inspirent sont la conséquence d’un processus de construction collectif qui a démarré des cendres du deuxième après-guerre. Pour nous, il s’agit des meilleures formules visant à assurer une cohabitation civile, ou - pour rester aux termes pratiques - pour faire de façon que "ta liberté se termine ou commence la mienne”.
La culture occidentale présente des différences d’un Etat à l’autre, voire d’un peuple à l’autre, mais cette conviction a été, fort probablement, la seule à avoir constamment rempli un caractère vraiment collectif, l’unique à nous rassembler, à nous offrir une certitude. C’est pourquoi, il est encore plus difficile à accepter qu’au monde il existe non seulement quelqu’un qui ne partage pas cette vision, mais qui se pousse jusqu'à la combattre, avec les mêmes instruments et techniques d’une guerre. La guerre qui constitue, pour nous, un chapitre fermé il y à 70 ans, d’où notre peine à lire la situation.
Notre condition même d’occidentaux est gênante, elle représente l’"ennemi” à battre. Cela est difficile à accepter également du fait que l’"autre côté” du terrain de la bataille (que, entre autres, nous n’avons pas empruntée, d’où une ultérieure complexité) est invisible. Il faut, en fait, faire attention à ne pas se faire piéger dans l’identification de ce "quelqu’un”. L’Isis est la solution la plus rapide, surtout pour les médias, lorsqu’un terroriste suicide entre en action en Europe, mais la phase historique qu’on est en train de vivre est bien complexe.
La dimension économique, la crise, l’anthropologie et, dirais-je, même l’urbanisme (ou mieux la programmation des aires urbaines périphériques) y rentrent beaucoup plus que dans les saisons du terreur que différents Etats (parmi lesquels, sans doute, l’Italie) ont déjà vécu. Tout comme y rentrent des gouvernements occidentaux en débit de consensus, parfois en quête de raisons valides pour recourir aux pouvoirs spéciaux et d’autres fois encore trop peu scrupuleux dans le trafic avec les "Seigneurs de la guerre” d’autres latitudes. C’est la raison pour laquelle il faut dépasser les réponses immédiates, bien que le radicalisme soit une dénomination commune aux incarnations humaines de cet ennemi obscur.
Et après avoir pris conscience de tout cela, quoi faire? Comment se conduire après que cet invisible "quelqu’un”, s’opposant à notre vision de la vie, nous a démontré qu’il est à même d’entrer en action, et de semer ses graines de mort, tant dans une métropole, que dans une ville de vacances quelconque; tant un samedi soir, que le jour de la Fête nationale; tant dans un aéroport que sur une plage?
Je regarde une des photos que j’ai pris à Nice. Elle est en haut de cet article. Mon fils est avec ses copains, sur la plage en bas de la Promenade où, hier soir, plus de quatre-vingt personnes ont soudainement trouvé les dernières secondes de leurs vies et des centaines ont remporté des blessures qui ne les abandonneront jamais. La fin d’images du genre, des rires des enfants, des sourires des parents représente exactement ce que les trafiquants dans l’obscurité voudraient, en nous obligeant à rester chez nous, en alimentant la culture du soupçon, en arrêtant nos déplacements et, surtout, en nous portant à auto-limiter ces libertés pour lesquelles nos ancêtres ont lutté.
Ils ne m’auront pas. Ils ne nous auront pas. Ils ne doivent pas nous avoir. La normalité, non sur les "social", mais dans la vie quotidienne, dans nos choix, est la réponse que nous sommes tous tenus à offrir. Ce qui ne signifie pas faire semblant de rien, mais éviter d’offrir spontanément à ce "quelqu’un” ce qu’il attend depuis longtemps.
Christian Diemoz