Union Valdôtaine

Le mouvement en ligne

2001 – 10 Février

Congrès National annuel – “L’IDENTITE’ VALDOTAINE”

M. PROMENT Emile, Président Commission Ethnie

DOCUMENT DE LA COMMISSION ETHNIE DE L’UNION VALDOTAINE

Pour une stratégie de défense de l’identité valdôtaine
Au niveau de l’individu, la perte de l’identité est un phénomène pathologique. De même, un peuple, une société qui perdent leur identité sont destinés à s’éteindre.
Nous croyons que le peuple valdôtain veut et doit garder la sienne, qui est très forte, en dépit de ceux qui nient jusqu’à l’existence de cette identité. La volonté des Valdôtains et la force de cette identité sont démontrées notamment par le succès croissant de l’Union Valdôtaine.
Parmi les éléments qui fondent cette identité, la langue occupe une place privilégiée, dans ses multiples’ expressions autochtones: le français, le franco-provençal et les dialectes alémaniques.
De ces langages, celui qui paraît le moins répandu dans l’usage quotidien, donc le plus menacé, est paradoxalement le français, c’est-à-dire le plus prestigieux, le plus répandu à l’extérieur de la Vallée d’Aoste et le plus garanti au point de vue de la législation.

Nécessité d’une stratégie de défense et de promotion de la langue française
Une stratégie de défense et de promotion de la langue française est donc nécessaire. Il appartient en premier lieu à l’Union Valdôtaine, qui a pour but exclusif la défense des intérêts de la Vallée d’Aoste et des Valdôtains, de l’élaborer.
Afin d’élaborer cette stratégie indispensable, nous pouvons et devons partir de deux points fermes: l’article l des Statuts de l’Union Valdôtaine, première partie, et l’article 38 du Statut d’autonomie de la Vallée d’Aoste.
L’article l des statuts de l’U.V. dit: ”L’Union Valdôtaine (…) a pour finalité d’assurer l’épanouissement du caractère ethnique et linguistique du peuple valdôtain”. A ce propos nous commençons par poser une question très simple, élémentaire: est-ce en préférant l’italien au patois et au français qu’on “assure l’épanouissement du caractère ethnique et linguistique du peuple valdôtain”? La réponse est non, évidemment! Et pourtant c’est ce que nous faisons souvent sans nécessité, sans justifications, quand nous parlons italien entre unionistes, quand nous préférons les prénoms italiens aux prénoms français, quand nous nous adressons en italien aux employés de l’administration publique, etc. (…)
En matière de défense de l’identité valdôtaine nous reculons au lieu d’avancer, nous renonçons à l’interprétation correcte et à l’application rigoureuse de l’article 38 du Statut, nous omettons d’exercer nos droits, nos droits reconquis. Il faut combattre ce relâchement qui nous mènerait insensiblement à la capitulation totale.
Quant à l’article 38 du Statut, il dit: “Nella Valle d’Aosta la Lingua francese è parificata a quella italiana”. Cet article 38 est appliqué dans l’Ecole grâce aux articles 39 et 40 qui suivent, mais ne l’est pas ou l’est très peu dans l’Administration, où nous exigeons, il est vrai, que les employés connaissent la langue française, mais nous ne faisons rien pour que cette connaissance soit appliquée. Nous leur accordons même une prime de bilinguisme qu’ils ne méritent pas, puisqu’ils n’ont aucune occasion d’employer le français. C’est à nous, Valdôtains et surtout Unionistes, de leur adresser la parole en français et d’exiger qu’ils répondent de même, si nous voulons qu’ils respectent un droit que nous avons reconquis et qui nous est reconnu par l’article 38 du Statut. Et qu’on ne nous objecte pas que pour commencer à employer le français il faut le connaître autant que l’italien. C’est là un sophisme et un piège. Prétendre que l’on connaisse le français autant que l’italien avant de l’employer, c’est subordonner pour toujours celui-là à celui-ci, c’est rendre impossible la parité proclamée dans l’article 38 du Statut, c’est faire de cet article une duperie, une “endrumia”. (…)
Il n’est pas nécessaire de maîtriser le français comme l’on maîtrise l’italien pour commencer à l’employer. Ne tombons pas dans le piège que nous tendent les ennemis irréductibles de l’identité valdôtaine, arrogants hier, sournois aujourd’hui. Ce qui empêche la plupart des Valdôtains de s’adresser en français aux employés de l’administration publique, ce qui les empêche d’exercer un droit reconnu, c’est la routine et le complexe d’infériorité. C’est ainsi que l’autonomie devient une “endrumia”.

La «stratégie des bastions»
Pour sortir de cette routine et de ce complexe d’infériorité, pour éviter ”l’endrumia”, il faut une “stratégie de défense de l’identité valdôtaine”. Jusqu’à présent nous n’avons été que des tacticiens qui furent pris souvent au dépourvu, qui commirent beaucoup de fautes, parce qu’ils n’avaient pas de stratégie. La commission de l’Ethnie propose une « stratégie des bastions », la seule possible quand on se trouve dans une situation de nette infériorité. Un bastion n’est pas simplement un retranchement, c’est aussi un foyer de ressourcement où les Valdôtains se retrouvent entre eux, ne parlent que patois et français, se retrempent, se préparent moralement et matériellement à combattre, à contre-attaquer. Nous avons des bastions “apolitiques”, comme par exemple le Comité des Traditions Valdôtaines et le Cercle d’études franco-provençales, et surtout un bastion “politique” qui est l’Union Valdôtaine. Ces bastions peuvent résister et contre-attaquer efficacement grâce à l’article 38 du Statut, un article que l’on n’a pas su ou voulu jusqu’à ce jour interpréter correctement et appliquer fermement. C’est par l’interprétation correcte et l’application rigoureuse de l’article 38 que nous réduirons graduellement la prépondérance actuelle de l’italien (prépondérance due, ne l’oublions jamais, à la longue persécution et au bannissement dont notre langue a été l’objet) et que nous arriverons progressivement à un bilinguisme authentique, qui distinguera la Vallée d’Aoste de toutes les autres régions d’Italie et même d’Europe, qui la caractérisera nettement, qui lui permettra aussi de jouer un rôle fédérateur dans la construction d’une Europe plurilingue et respectueuse des minorités ethniques. (…)
Un des corollaires les plus importants de la stratégie des bastions, une règle que nous devons absolument observer est celle-ci: faire le moins possible de concessions à l’italien, par exemple préférer toujours le patois et le français à l’italien, quand on peut le faire sans inconvénients, chacun restant libre de juger s’il y a inconvénient dans tel cas personnel ou telle circonstance particulière. En préférant le patois et le français à l’italien nous démontrons que nous connaissons nos droits et savons les exercer, ce qui est la meilleure, voire l’unique façon de les faire respecter.
Le Conseil Fédéral doit inviter les unionistes à s’adresser en français aux employés de l’administration publique, car c’est un droit devoir qui découle directement de l’article 38 du Statut. D’ailleurs n’est-ce pas pour cette raison qu’on exige des employés la connaissance de la langue française? Ici, il ne s’agit plus du principe de subsidiarité mais de la démocratie directe. C’est à chaque citoyen valdôtain de s’adresser en français aux employés de l’administration publique, car nul autre ne peut le faire à sa place; autrement dit, ce pouvoir n’est pas transmissible à un représentant ou délégué, le citoyen doit l’exercer lui-même, s’il ne veut pas le perdre et contribuer à le faire perdre.
L’Union Valdôtaine ne doit pas se borner à exalter le à exalter le principe de subsidiarité, elle doit rappeler aussi la démocratie directe et inviter les Valdôtains à la pratiquer, quand cette démocratie
élémentaire est possible et surtout nécessaire, irremplaçable, comme dans le cas des rapports entre les citoyens et les employés de l’administration publique, où le citoyen valdôtain a le droit-devoir de s’adresser en français aux employés, et ceux-ci le devoir de lui répondre de même, vu qu’ils ont passé un examen de français et touchent aussi une prime de bilinguisme.
L’U.V. doit constater et souligner que l’administration publique n’est pas sortie de l’ornière fasciste, que tout s’y fait presque exclusivement en italien (5% de français, 10 tout au plus), qu’on est loin de l’article 38 du Statut: “Nella Valle d’Aosta la lingua francese è parificata a quella italiana”. L’U.V. doit inviter les Valdôtains et surtout les Unionistes à sortir de cette ornière. Guerre à ”l’endrumia”!

Mettre les jeunes générations dans la condition de connaître et d’utiliser la langue française
Il est nécessaire que les jeunes générations soient mises dans la condition de connaître et d’utiliser de plus en plus la langue française. Dans ce but, il faut vérifier, tout d’abord, l’état d’application des articles 39 et 40 du Statut spécial dans les écoles valdôtaines et envisager un parcours politique visant à la réalisation d’un bilinguisme réel au niveau de l’enseignement. Il faut ensuite analyser attentivement la question de l’enseignement universitaire et des chances effectives, pour les jeunes valdôtains, de recevoir une formation supérieure en langue française, dans une perspective européenne.
L’école n’épuisant pas le domaine de la formation, il est tout aussi indispensable de se poser le problème de la formation professionnelle, en premier lieu dans les professions – qui ne manquent pas en Vallée d’Aoste, terre de frontière et de tourisme – où la connaissance des langues est un élément essentiel des savoir-faire requis et la qualité de l’expression écrite et parlée est partie intégrante de la qualité de la prestation professionnelle.
Les milieux économiques liés à l’agriculture et industrie, en particulier, sont rarement caractérisés par la présence du français, les premiers étant plutôt liés à l’emploi du franco-provençal, les seconds à l’italien, pour des raisons historiques et sociologiques qu’il est inutile de rappeler ici. Le problème de l’emploi de la langue française se pose donc, ici, de façon particulièrement aiguë.
Dans ce domaine, il semble nécessaire d’œuvrer au niveau de recyclage et de la formation permanente, en sensibilisant au problème les forces sociales et notamment les entrepreneurs et les syndicats.
La mondialisation du marché du travail implique des conséquences en Vallée d’Aoste aussi: les travailleurs et les chômeurs provenant des Pays de l’Europe de l’Est, d’Asie ou d’Afrique sont de plus en plus nombreux chez nous. La différence, par rapport à d’autres ondées migratoires, ne concerne pas seulement, en ce cas, la langue, mais aussi les mœurs, la religion, les valeurs, en un mot la civilisation.
Même en se bornant simplement à l’aspect linguistique, la difficulté de s’intégrer redouble en présence de deux réalités linguistiques officielles, en plus du caléidoscope dialectal qui caractérise la Vallée d’Aoste (idiomes franco-provençaux, Walser, piémontais, vénitien, calabrais, etc.).
Une politique d’intégration, au cas où elle serait entamée, devrait réserver une attention particulière à ces aspects, compte tenu du fait qu’une partie significative des immigrés proviennent de Pays où le français est d’usage courant ou même officiel.
La politique des bastions, qui tend au renforcement interne de la communauté valdôtaine, doit donc se doubler nécessairement d’une politique de sorties, d’irruption dans le camp adversaire, ce qui demande un engagement supplémentaire pour étudier une stratégie d’attaque. Les combats peuvent se gagner uniquement sur le champ de bataille, non à l’intérieur des villes assiégées.

M. FAVRE Saverio, Chef de service du Brel

Remarques sur la situation du franco-provençal en Vallée d’Aoste

Le patois est un des éléments saillants de notre identité: ce patois qui, d’après le Grand Robert, a la même base étymologique que patte et tire son origine du radical patt, exprimant la grossièreté, le marmonnement, le mouvement des lèvres. Il s’agirait d’un « parler local employé par une population généralement peu nombreuse, souvent rurale et dont la culture, le niveau de civilisation sont généralement jugés inférieurs à ceux du milieu environnant (qui emploie la langue commune) ».
En Vallée d’Aoste, où l’emploi du patois est encore fort répandu, ce mot a perdu toute connotation négative, cependant certains ont proposé des appellations alternatives telles que valdôtain, arpitàn (langue des Alpes), grayèn (langue des Alpes Graies), ou franco-provençal, désignation savante forgée• par Ascoli. Ces variantes n’ont pas eu de succès: nos pères ont toujours parlé patois, ainsi que nos grands-pères, et nous continuons, nous aussi, à parler patois et à appeler notre langue patois. D’ailleurs le terme n’a aucune acception péjorative pour les patoisants; au contraire, il a pris un sens affectif, évoquant une identité linguistique bien définie.

Le contexte historique et géographique
Afin de bien comprendre la réalité linguistique valdôtaine, il n’est peut-être pas inutile d’insérer le patois dans le contexte historique et géographique du franco-provençal, ce qui nous permet en plus d’en mettre en .évidence l’étroite parenté avec la langue française. Les patois valdôtains sont des parlers néo-latins appartenant à la famille appelée franco-provençal qui, avec la langue d’oil et la langue d’oc, compose le groupe linguistique gallo-roman. Le franco-provençal est un proto-français: c’est •du français dans une phase très primitive qui a refusé certaines innovations venant du Nord. En effet, le franco-provençal a suivi d’abord l’orientation des parlers du Nord, de Paris par exemple, mais, à partir d’une certaine date, il n’a plus accepté les innovations linguistiques de la langue d’oi1. Des faits historiques ont contribué à la formation de cette langue: le domaine franco-provençal, autour de l’axe Lyon-Genève et sous l’influence du centre le plus important, Lyon, a vécu une phase de marginalisation progressive. La séparation entre langue d’oil et franco-provençal aurait donc commencé à la fin de l’époque mérovingienne ou au début de la carolingienne : à partir de ce moment, le franco-provençal est demeuré conservateur, tandis que le français a continué une évolution très forte du fait même des modifications démographiques très importantes en Gaule du Nord.
L’origine et la destinée du franco-provençal ont été étroitement liées au sort de sa capitale historique, Lyon, capitale des Gaules et centre de rayonnement linguistique. Le franco-provençal n’a jamais coïncidé avec une entité politique, n’a jamais connu un moment d’unification, n’a jamais possédé une koinè, c’est-à-dire une langue commune, au-dessus des variétés locales. Il s’agit donc d’une langue qui se présente sous la forme d’une myriade de parlers, qui est à l’état dialectal parfait. En d’autres termes, c’est une langue qui n’existe que dans la grande variété de ses patois. Les limites géographiques du domaine franco-provençal sont souvent difficiles à établir à cause aussi de l’absence d’une koinè et d’une tradition littéraire qui permettent à d’autres idiomes d’avoir des confins plus nets. Outre la Vallée d’Aoste, l’aire franco-provençale comprend grosso modo:
a) la Suisse romande, à l’exception du Jura bernois (les cantons concernés sont: Neuchâtel, Vaud, Genève, Fribourg et Valais) ;
b) toute la Savoie, le Lyonnais, le Dauphiné septentrional (Grenoble et Vienne), une partie de la Franche-Comté, le Bugey et la moitié méridionale de la Bresse;
c) sur le versant italien, dans le Piémont occidental, la Vallée de l’Orco, la Vallée Soana, les trois Vallées de Lanza, la Vallée Cenischia, la moyenne et la basse Vallée de Susa et la Vallée Sangone. Le domaine franco-provençal concerne trois États et il est donc très différencié politiquement et dépourvu des caractéristiques propres à une nation; on lui assigne des frontières à titre de définition. Cela nous montre que les barrières naturelles ne représentent pas un obstacle pour la langue et les relations humaines.
À titre de curiosité, les colonies de Celle di San Vito et de Faeto, dans la province de Foggia, sont, elles aussi, franco-provençales. L’installation remonte probablement à la fin du XIIème siècle et au début du XIV et on pense que la région d’origine se situe à l’est de Lyon, en Burgey.

La situation du patois dans les différentes nations
“La situation actuelle du franco-provençal est diverse selon les différentes nations sur lesquelles s’étend son domaine. Il s’agit d’une langue sérieusement menacée et qui ne semble pas avoir de grandes perspectives d’avenir.
Dans l’aire politiquement française, les patoisants, surtout des personnes âgées, représentent moins de 1% de la population et ils sont concentrés essentiellement en Savoie et en Bresse. Le franco-provençal, qui a trouvé ses principaux ennemis dans la politique centralisatrice de l’État et dans l’école, est promis à une mort prochaine, mais il pourra survivre dans le français régional.
La situation suisse n’est guère différente: comme en France, on connaît des cas où des patoisants doivent parcourir plusieurs kilomètres pour trouver un interlocuteur qui soit à même d’utiliser leur code linguistique.
Sur le versant piémontais, d’après un sondage effectué en 1974 Ge ne possède pas de données plus récentes), 28% environ de la population était patoisante. À côté de l’italien, le piémontais aussi jouit d’un plus grand prestige que le franco-provençal. Au Piémont, la population patoisante est vieille et les phénomènes migratoires, la crise de l’agriculture, l’industrialisation, le dépeuplement des campagnes ont contribué à l’effacement des parlers locaux.
Au cours de ces dernières années, on constate une récupération du patois, par des clubs, des associations, des groupes folkloriques (quelques rares émissions radiophoniques). La sauvegarde du patois est cependant confiée à des groupes spontanés qui ne reçoivent, dans la plupart des cas, aucune aide de la part de l’administration publique.

La situation en Vallée d’Aoste
En Vallée d’Aoste, la situation est, par rapport aux précédentes régions décrites, relativement privilégiée: grâce aussi à l’autonomie et à la présence du français comme langue de culture, le patois manifeste une bonne vitalité et jouit d’un certain prestige. La condition valdôtaine est ainsi synthétisée par Gaston Tuaillon, ancien professeur de dialectologie de l’Université de Grenoble et grand expert en franco-provençal : “Or, la Vallée d’Aoste constitue (.) la seule grande région du domaine franco-provençal dont le dialecte pourra survivre longtemps encore, malgré la rage de détruire le passé qui a accompagné la modernisation galopante du XXe siècle “. En effet, le patois est connu et employé par une bonne partie de la population, y compris par les jeunes, et il est pratiqué un peu partout, au niveau politique et administratif et dans les écoles. D’après une statistique approximative, en Vallée d’Aoste les patoisants – c’est-à-dire les locuteurs qui ont une compétence active du patois et qui le pratiquent régulièrement – dépasseraient le 50% de la population.
L’administration régionale favorise l’emploi du patois et encourage toute initiative pour son maintien, mais, quelqu’un a remarqué, les efforts des institutions tendent plus souvent à défendre le français, langue de culture, dont la sauvegarde est prévue par le Statut (à ce propos une nouvelle loi vient d’être approuvée, la loi 482 du 15 décembre 1999). Malgré tout ce que nous venons de dire, dans notre petite région intramontaine, un grave danger menace le patois: l’évidente priorité de l’italien sur les autres codes linguistiques. De nombreuses causes contribuent à la marginalisation du franco-provençal, elles vont de la dénatalité aux mouvements migratoires, à l’industrialisation, au tourisme, à l’abandon des campagnes et des villages, au dépeuplement de la montagne. Dans les années 60/70 l’école aussi a joué un rôle favorisant l’abandon du patois: elle l’indiquait comme l’un des principaux responsables de l’échec scolaire. À cette époque là, plusieurs parents, valdôtains et patoisants, ont commencé à parler italien à leurs enfants. En outre, le patois est en train de changer: il suit les temps et les modèles représentés par les langues de culture. Il ne peut plus être une langue exclusivement rurale, puisqu’il doit régler ses comptes avec la politique, l’économie, le sport et tous les autres aspects qui caractérisent la vie moderne. En d’autres termes, l’interférence avec l’italien ou avec d’autres codes linguistiques et l’adaptation aux temps et aux situations actuelles sont inévitables. Tout compte fait, malgré les efforts de la part de nombreuses personnes de bonne volonté, l’aliénation linguistique avance et elle est irréversible.
En Vallée d’Aoste, plusieurs organismes ont pour but de sauvegarder les traditions linguistiques et culturelles de notre région:
Le B.R.E.L. (Bureau régional pour l’Ethnologie et la Linguistique) de l’Assessorat de l’Éducation et de la Culture, créé en 1985 avec les objectifs suivants:
– promotion, développement et coordination de recherches ethnographiques et linguistiques sur le territoire de la région. Ces objectifs sont atteints par:
– la collecte, le catalogage, la restauration et la conservation de matériel d’intérêt ethnographique et linguistique;
– la diffusion de la connaissance du matériel recueilli par l’impression de catalogues et de publications, l’aménagement d’expositions et l’organisation de manifestations;
– la collaboration avec les associations culturelles qui œuvrent dans le même domaine de recherches. ( … ).
Le Centre d’Études Franco-provençales René Willien de Saint-Nicolas, fondé en 1967 dans le but de:
– promouvoir les études et les recherches dans le domaine du franco-provençal et, notamment, du patois valdôtain et de l’ethnologie de toute la Vallée;
– réunir dans les mêmes fonds d’archives toute la documentation intéressant ce domaine de recherche;
– constituer une bibliothèque spécialisée mise à la disposition des chercheurs;
– aider, de toutes les façons possibles, les instituteurs et les professeurs de tous les niveaux pour qu’ils apprennent à tenir compte des valeurs dialectales et ethnologiques propres de la Vallée;
– promouvoir la publication et la diffusion d’œuvres intéressant les domaines de recherche indiqués avant;
– susciter et organiser des stages et des rencontres dans le but d’étudier et de faire connaître la spécificité linguistique et ethnique de la Vallée.
L’A.VAS., Association Valdôtaine Archives Sonores, fondée en 1980 dans le but de recueilli et de classer les témoignages oraux de la tradition valdôtaine. ( … )
Le Comité des Traditions Valdôtaines, fondé en 1948 et dont les buts sont énoncés dans sa dénomination elle-même.
La Fédérachon Valdoténa di Téatro Populéro, fondée en 1979, constitution officialisée en 1983, reconnaissance de la personnalité juridique en 1984. Les buts les plus importants énoncés dans les statuts sont :
promouvoir et diffuser l’activité théâtrale en tant qu’expression culturelle populaire; _ –
encourager la pratique et l’étude du franco-provençal sous ses différentes formes.
Pour la minorité Walser, ces organismes sont:
– le Walser Kulturzentrum de Gressoney
– 1’Association Augusta d’Issime.
Parmi les initiatives de grande envergure pour la sauvegarder et la diffusion du patois, j’en citerai deux seulement: le Concours Cerlogne, que tout le monde connaît, et l’École populaire de patois. Créée en 1995 par l’Assessorat de l’Éducation et de la Culture dans le but de diffuser la connaissance du franco-provençal, l’École populaire de patois propose pour la sixième année consécutive ses cours de connaissance orale et de graphie du patois. Organisés dans plusieurs communes de la Vallée, ces cours du soir s’adressent à un vaste public hétérogène présentant différents niveaux de scolarisation, différentes compétences linguistiques et aussi des motivations différentes. Plusieurs niveaux sont ainsi prévus afin de répondre aux exigences de chacun. Les participants se retrouvent deux fois par semaine (pendant 20 semaines). Puis, au printemps, les cours se terminent par une grande représentation … en patois naturellement!

L’action pour la sauvegarde et la diffusion du patois.
Mais revenons maintenant à ce que l’on doit ou l’on peut encore faire pour la sauvegarde et la diffusion du patois. Il ya trois points sur lesquels il vaut la peine de réfléchir.
1) La loi de l’État italien n° 482 du 15 décembre 1999 sur la défense des langues minoritaires: cette loi est évidemment la bienvenue, même si en certains cas elle est venue fermer l’écurie quand les chevaux étaient déjà dehors. Elle nous offre de nouvelles opportunités dans le domaine scolaire et, bien entendu, universitaire, étant donné que notre Vallée possède actuellement une université à elle. La loi nous ouvre de nouvelles perspectives dans le domaine de la communication, radio, télé, presse, que nous devons saisir et exploiter de la façon la meilleure. Cependant son application ne sera pas toujours une opération simple et elle posera inévitablement des problèmes à plusieurs niveaux.
2) Le deuxième volet que je voudrais aborder concerne la possibilité ou la nécessité de standardisation du patois, c’est-à-dire la création d’une forme de langue standard, normalisée, d’une koinè au-delà des variations locales (cela, bien entendu, sans suffoquer les différents patois qui pourront continuer à vivre normalement), à utiliser comme langue écrite, dans les relations officielles et diffusée par l’école et les médias.
C’est un sujet qui dernièrement a provoqué des agitations politico-linguistiques dans les deux départements savoyards. Pour atteindre ce but deux voies sont en principe praticables:
a) former un mélange d’un grand nombre de traits linguistiques du plus possible de patois différents et créer une sorte d’espéranto, opération artificielle que l’on pourrait exclure à priori;
b) choisir un patois bien conservé et central et le considérer comme le patois représentatif de la Région. Quand j’étais jeune étudiant et j’avais appris, en lisant les ouvrages de grands linguistes tels que Weinreich (auteur d’un texte fondamental sur les langues en contact), que la seule façon de sauver un dialecte ou une langue minoritaire et lui donner les moyens pour faire face aux langues de culture était sa standardisation, j’avais partagé cette idée. Elle est sans aucun doute encore valable aujourd’hui, en principe, mais il s’agit probablement d’un projet chimérique en ce qui concerne son application. En analysant la situation de notre région, je commence à avoir des doutes que l’unification linguistique puisse ou doive être réalisée dans le milieu valdôtain. Voilà donc un bon sujet de réflexion! (.. .)
3) Comme dernier point, je veux encore dire deux mots à propos de la graphie du patois. Vous connaissez peut-être les polémiques qui ont surgi chez nous ces dernières années à ce sujet: loin de moi l’intention de les rallumer! Quelques remarques sont toutefois indispensables. Après des années de réflexions et de travail d’équipe effectués par un comité créé à cet effet, le BREL a proposé un nouveau système de graphie du patois. Autant que possible on a essayé de trouver des solutions dans le respect de la tradition et s’inspirant de l’orthographe de la langue française. Cela va de soi, l’orthographe française est compliquée, criblée d’homophones, avec des résidus étymologiques qui souvent gênent la lecture et la compréhension des textes. En outre le patois possède plusieurs sons que la langue française ne connaît pas. En plus, le français est une langue présentant l’oxytonie généralisée (c’est-à-dire que l’accent tonique tombe toujours sur la dernière syllabe d’un mot), tandis qu’en franco-provençal on trouve aussi bien des mots oxytons que des paroxytons (accentués sur la pénultième syllabe), parfois même des proparoxytons (accentués sur l’antépénultième syllabe) et cela a des conséquences remarquables du point de vue graphique. La graphie traditionnelle, elle aussi, est parfois compliquée, incohérente, et efficace seulement pour un nombre restreint de patois. D’ailleurs, même chez Cerlogne, la graphie patoise avait subi une évolution à plusieurs étapes, à la recherche d’un système toujours plus fonctionnel (cf à ce propos l’article de T.Telmon « L’évolution de la graphie et l’évolution du modèle linguistique chez J.-B. Cerlogne », ” Nouvelles du Centre d’Études Franco-provençales “René Willien” ‘: n°39, 1999). Cela dit, le BREL a élaboré un système de graphie qui est certainement loin d’être parfait et tout-puissant; il présente des points faibles et il est donc perfectible, mais nous nous sommes efforcés, autant que possible, de répondre à deux exigences fondamentales:
a) créer un outil simple, facile à employer et permettant une lecture aisée;
b) proposer une méthode à même de satisfaire les nécessités propres aux différents patois de la région aussi bien de la haute que de la basse Vallée. Cette graphie a été essayée dans les cours de l’École populaire de patois et, dans l’ensemble, elle a donné de bons résultats. Une graphie unifiée, sur la base d’un même modèle, me semble un but à atteindre à tout prix. C’est pour cette raison qu’il serait peut-être souhaitable de créer une académie à même de trouver des solutions claires et définitives à cette ancienne querelle. Je termine en disant que pour sauver le patois il n’y a pas de remèdes infaillibles, une sorte de panacée universelle, mais il existe une règle de base, simple, que tout le monde peut suivre: il faut le parler!

Mme LANDI Luciana

Témoignage sur la situation linguistique d’une communauté Walser

La situation linguistique à Issime
Lorsque l’on me demande quelle a été ma langue maternelle j’ai assez de mal à répondre. Si par “maternelle” l’on entend la langue que parlait ma mère je dois dire qu’elle s’exprimait couramment en six idiomes différents c’est-à-dire en töitchu, en français, en piémontais, en patois de Gaby, en patois de Fontainemore et en italien.
Quand j’étais enfant en Suisse et en France, en famille nous parlions français et piémontais (mon père étant né à Busano dans le Canavais) tandis que maman parlait töitchu aussi avec ses frères et avec les saisonniers issimiens qui venaient souvent chez nous et patois avec les membres valaisans de sa famille.
Lorsque mon père s’était occupé de la réfection du cloître de la Chartreuse du Reposoir en Haute-Savoie, voulue par la fameuse Alessandra di Rudini, qui avait quitté sa famille pour D’Annunzio et qui s’était faite religieuse lorsque D’Annunzio l’avait quittée pour Eleonora Duse, il s’était entouré des meilleurs tailleurs de pierre qu’il avait connus sur les différents chantiers. Chez nous, alors, l’on se serait cru à la Tour de Babel, car l’on y parlait tous les dialectes: piémontais, lombard, vénitien ou toscan ….. et si l’on disait « d’likka, la crooye, la nina, la matalina, la tosa ou la bimba » je savais bien que c’était toujours de moi qu’on parlait. ( … )
Les vicissitudes de la guerre nous avaient amenés à Issime vers la fin de 1942. Dans la vieille masure qu’y possédait maman l’on parlait la langue la plus connue du dernier qui était entré.
Papa et moi avions cherché à nous exprimer en töitchu, que nous comprenions bien, mais que nous avions du mal à parler sans soulever l’hilarité de Maman à cause de notre difficulté à reproduire certains sons. Parfois je me mettais à pleurer lorsque Maman riait de moi, mais Papa me consolait en disant: “Pijatla nén cita, mi e ti j l’omo nen la patata caoda ‘n boca come la mama’.
Avec tous les contemporains de ma mère je pouvais m’exprimer en français ou en piémontais; ma génération n’avait qu’une connaissance passive du français parce qu’elle ne l’avait pas étudié à l’école, mais avait toujours entendu l’abbé Vesan, notre curé de 1908 à 1946, prêcher à l’église en cette langue. Je me souviens même qu’en 1944 un officier de la République de Salo avait interrompu le sermon en disant très fort: “Signor parroco, siamo in Italia, bisogna smetterla di parlar francese” et, ce jour-là, l’abbé Vesan avait terminé de prêcher en italien, mais avait repris en français les dimanches suivants, lorsqu’il n’y avait plus de soldats de la République au village.
En 1946 j’étais retournée pendant quelques mois en Suisse et, à ma rentrée, les pères de famille m’avaient demandé de tenir des cours de français à leurs enfants; ce que je fis du mois de novembre 1946 au mois d’avril 1947 lorsque je repartis pour la Suisse. Je tenais mon cours tous les soirs de 18h à 19h30 et je percevais 500 lires par mois pour chaque élève. Chacun arrivait avec une bûche de bois pour chauffer la pièce qui nous hébergeait et pour laquelle je versais 500 lires par mois de location.
Après 1948, les enfants l’ont appris à l’école le français … et quelques mères avec eux.
Toutefois, il est à rappeler que le village offrant peu de possibilités de travail, bon nombre de jeunes sont partis s’engager, en grand nombre, à Ivrée à l’Olivetti et, quelques-uns, à Aoste, à la Cogne.
La plupart de ceux qui sont allés à Ivrée y ont trouvé une épouse, ce qui fait que les enfants qui sont nés parlaient habituellement le piémontais et n’entendaient le töitchu que chez leurs grands-parents quand ils venaient à Issime.
Quant aux garçons d’Issime qui sont restés au village s’adonnant aux travaux de la campagne, s’ils ont mariée des filles d’Issime ils ont continué de parler töitchu en famille, s’ils ont marié des filles du Gaby leurs enfants parlent couramment le patois du Gaby que leur à enseigné leur mère, mai aussi le töitchu dont faisait usage tout leur entourage.
Il est à remarquer qu’il y a un cas où une fille de Fontainemore mariée à un Issimien a bien appris le langage de son mari et l’a toujours parlé à ses enfants.
Depuis sa fondation, en 1967, l’Association AUGUSTA a beaucoup œuvré pour la sauvegarde du töitchu. Cela était devenu absolument nécessaire pour réparer les dégâts provoqués par l’école au cours des années 30/,40 où les instituteurs invitaient les parents à ne pas parler en dialecte à leurs enfants parce que, à leur avis, cela aurait empêché un bon apprentissage de l’italien. Malheureusement, même au cours des années qui ont suivi la chute du fascisme, cette idée était encore fort enracinée. Je me souviens qu’au début des années ’70 mes filles avaient encore un journal de l’élève édité par la maison “La Scuola” de Brescia où l’on pouvait lire au décalogue des dispositions réglementaires: “E’ vietato parlare in dialetto nelle vicinanze della scuola e con i bidelli”.
Il a fallu un beau moment pour comprendre que quand on a une bonne base de dialecte et que l’on est habitué très tôt à s’exprimer de plusieurs façons l’on est soumis à une gymnastique mentale qui permet d’atteindre les meilleurs résultats.
Ma génération parle plus facilement le piémontais que l’italien, elle ne fait usage du peu de français qu’elle connaît qu’avec les parents émigrés qui reviennent au terroir. Quelques personnes savent aussi le patois de Gaby, mais cela est dû aux liens d’alliage entre les familles, et je n’en connais pas qui fassent usage du patois de Fontainemore. Les personnes d’un certain âge continuent de farcir le töitchu de dictons en français, en piémontais ou en patois, notamment pour ce qui concerne les remarques sur le temps, mais il s’agit d’expressions figées.
Les jeunes ont appris le français, l’italien et un peu d’allemand à l’école, mais c’est en italien qu’ils s’expriment le plus souvent. A l’église les chantres ont repris des chants en français, ils ont même traduit des psaumes en töitchu, mais les prêtres semblent ignorer totalement le français.
Et dire que je me souviens que, à l’occasion d’une fête de l’Association Augusta, l’archiprêtre Daniel Christillin, curé de Gressoney-Saint- Jean, mais Issimien de souche, avait célébré une messe en cinq langues!
Dans ma jeunesse j’ai souvent entendu chiner les Gressonards pour leur difficulté à parler le piémontais. ( … )
Désormais, les jeunes Issimiens font du piémontais un usage tout aussi maladroit que celui des Gressonards il y a cinquante ans. Entre eux, ils parlent bien encore le töitchu, mais pour converser avec les gens du Gaby ou de Fontainemore ils font usage de l’italien Et c’est aussi en italien qu’ils s’expriment avec les Gressonards: le titsch et le töitchu étant assez différents l’un de l’autre. Dans ma jeunesse, au cours des quelques années que j’ai vécu à Issime, j’ai toujours parlé ou français ou piémontais avec les gens d’Issime ou des villages voisins. Je n’ai jamais entendu employer l’italien si ce n’est qu’avec quelques réfugiés qui s’étaient échappés des bombardements des grandes villes. Toutefois, il est une chose qui m’a fort étonnée: deux de mes gendres sont Valdôtains, l’un de Challand et l’autre de Torgnon; j’ai souvent remarqué que les membres de leurs familles ont du mal à se comprendre quand ils par lent dans leurs dialectes respectifs ce qui les pousse … à se parler en italien. Ma mère, au lieu, les comprenait très bien et leur répondait en un patois qui était probablement de son invention farci comme il l’était d’expressions valaisannes, gabistres ou de Fontainemore, mais qui lui servait bien à l’usage.
Elle se plaisait aussi à lire des écrits en patois. En son temps, René Willien avait été très surpris de l’entendre lui lire très correctement une histoire qu’elle avait trouvée bien amusante. Pour conclure, je me sens d’affirmer que, grâce à l’Association Augusta et à l’engagement de bien des personnes, la sauvegarde du töitchu est bien assurée à Issime.
Toutefois, le fait de ne plus faire usage du français à l’église, du piémontais et du patois dans les rapports courants, comme savait le faire la génération de ma mère, est un véritable appauvrissement. Quelqu’un pourra me répondre que les enfants walser apprennent aussi l’allemand moderne à l’école élémentaire et moyenne.
Oui, c’est vrai, mais après? Ils ne disposent en Vallée d’Aoste que de minimes possibilités d’approfondir leurs connaissances dans cette langue. On enseigne l’anglais dans tous les lycées, mais les chaires d’allemand sont très rares. D’ailleurs, les petits Valdôtains ne disent plus oui ou ja ou oué ou oil mais … globalement o.k. Y aura-t-il un remède pour cette situation? Je ne saurais donner une réponse.

Mme DE PAOLI Ornella

La situation identitaire dans les Vallées francoprovençales du Piémont:

Travailler pour la renaissance de l’identité franco-provençale au Piémont

Il y a longtemps, invitée par des amis, j’avais assisté à une réunion consultative des inscrits à l’Union Valdôtaine qui s’était déroulée à Aoste, au Théâtre Giacosa. C’est à cette occasion que, pour la première fois, j’ai entendu parler de Mlle Maria Ida Viglino, qui était à l’époque Assesseur à l’Instruction Publique. Par la suite, j’ai eu l’honneur et le plaisir de la rencontrer plusieurs fois à l’occasion des Fêtes du Patois du Concours Cerlogne, auxquelles je participais avec les écoliers, les enseignants et les administrateurs de ma vallée, le Val Soane. Mlle Viglino était devenue très populaire chez nous, non seulement parce qu’elle était originaire de notre vallée (son grand-père était né à Foss/Forzo, le même village de mes grands-parents), mais parce qu’on admirait son engagement en faveur de l’identité valdôtaine et son dévouement au pays.
A ce temps-là, c’est-à-dire il y a une vingtaine d’années, en Val Soana et dans les autres Vallées franco-provençales du Piémont, en voyant ce qui se passait dans les vallées voisines, en Vallée d’Aoste notamment, mais aussi dans les vallées occitanes où étaient très actifs un mouvement politique (le MAO) et de nombreuses associations culturelles, un petit nombre de personnes avait pensé de faire quelque chose pour sauver de l’oubli le particularisme culturel local. En 1981 est donc née une association culturelle, l’EFFEPI associazione di studi e di richerche francoprovenzali, ayant le but de sauvegarder la langue et la culture des Vallées Franco-provençale du Piémont et de diffuser parmi les habitants la conscience d’appartenir à une minorité linguistique. Il faut dire qu’à ce temps-là, chez nous, personne ne parlait du “franco-provençal” et le mot même n’était pas connu.
Bien sûr, les gens des vallées étaient conscients de parler un patois qui n’était ni piémontais, ni italien, mais ils ne lui donnaient pas un nom et surtout cette conscience était bornée à leur vallée. Ils avaient oublié que dans les vallées à côté d’eux, l’on parlait des patois semblables. Pendant les vingt dernières années quelque chose a changé et je crois qu’on peut dire que notre association, l’EFFEPI, a joué un rôle important dans ce sens. En prenant exemple de la Vallée d’Aoste et en collaboration avec le Centre d’études franco-provençales René Willien, l’EFFEPI a organisé pendant tous ces ans un Concours scolaire qui s’inspire au Concours Cerlogne et qui est aujourd’hui à sa 19ème édition. Ce concours a permis d’introduire dans les écoles l’étude de la culture et de la langue des vallées et maintenant les enseignants, les écoliers, leurs parents, les syndics et tous ceux qui ont collaboré à la réalisation des Concours ont compris que leur patois est franco-provençal et en conséquence que leur vallée n’est pas isolée, mais au contraire, qu’elle fait partie du grand domaine franco-provençal. Il y a une autre manifestation qui a eu un rôle important chez nous, la Fête internationale du Patois qui, depuis 1980, se déroule aussi, tous les quatre ans, dans une de nos vallées. Cette fête a réussi à faire revivre les anciens liens qui unissaient les habitants de nos vallées à ceux de l’autre côté de la montagne, c’est-à- dire à ceux de la Savoie et de la Vallée d’Aoste.
Chaque année le nombre des participants aux Fêtes du patois qui ont lieu en Suisse, en Savoie et en Vallée d’Aoste augmente. Des villages complets s’organisent pour aller à ce rendez-vous, par exemple le village de Barmess/Balme dans la Vallée de Lans/Lanzo: 80 habitants, 50 participants à la Fête du patois.
Dans les dernières années on a encore enregistré un progrès pour ce qui concerne la prise de conscience identitaire, un progrès qui a été déterminé par la loi de tutelle des minorités linguistiques (n.482/99). En 1997′, 98,’99 notre association a organisé dans différentes communes des réunions avec les élus de nos vallées (administrateurs des communes, parlementaires, etc.) ayant l’objectif de promouvoir la ratification du projet de loi. Par la suite d’autres réunions ont été organisées afin de faire connaître la loi, qui entre temps avait été approuvée.
Dans cette circonstance, encore une fois, nous avons eu le soutien des valdôtains, en particulier de l’Union Valdôtaine et notamment du député valdôtain Lucien Caveri. M. Caveri a toujours été présent aux réunions en faisant comprendre à nos élus l’importance, pour nos vallées, d’être reconnues comme minorité linguistique.
A l’heure actuelle beaucoup de Communes ont délibéré, comme prévu par la loi, en se déclarant franco-provençales. Il s’agit des communes des Vallées Orco et Soana et de nombreuses Communes des vallées de Suse et de Lans. La première a l’avoir fait est la commune Dzallion/Giaglione, où il y a quatre ans a eu lieu la Fête du Patois. Le maire, M. Enzo Vayr avec d’autres administrateurs des Communes de la Vallée de Suse a constitué, il y a un mois, un mouvement politique, le UVA, Unione Valli Alpine, fondé sur le particularisme occitan, franco-provençal et montagnard du territoire de cette vallée. La loi de tutelle des minorités ethnolinguistiques pourrait vraiment contribuer à la renaissance des vallées franco-provençales du Piémont, en devenant l’instrument fondamental de la sauvegarde de notre langue et de notre culture. En devenant aussi l’instrument de diffusion d’une prise de conscience de l’identité franco-provençale, ce qui permettra à nos vallées de se situer dans une région des Alpes qui est le cœur de l’Europe. Toutefois, la loi doit encore devenir exécutive, et d’ailleurs, pour l’appliquer nous avons besoin d’un autre instrument, c’est-à-dire une graphie normalisée pour diffuser le franco-provençal à tous les niveaux. Nous croyons que ces deux démarches pourront être faites dans un futur proche, avec l’aide de nos amis valdôtains.

Mme SAVOINI Nadia

Stratégies de formation, identité culturelle et monde du travail
Ces dernières années, l’offre de formation professionnelle dans le cadre du système régional a été axée essentiellement sur une formation du type initiation professionnelle et sur la formation et les stages en entreprise, faisant ressortir une forte implication de l’entreprenariat indépendant.
Ceci montre que le monde du travail et la construction d’un parcours professionnel se sont rencontrés, favorisant le processus d’échange “économique”. Mais ceci montre également que, souvent, le système ne s’est pas attaché de manière particulière à appréhender les éléments d’identité culturelle, comme la connaissance du français ou, alors, seulement pour servir ses objectifs.

Le lien entre formation linguistique et monde du travail
On peut ajouter en outre que dans la formation, l’analyse des besoins linguistiques, et en particulier du français, n’est presque jamais placée à la base des formations pensées pour des destinataires adultes opérant déjà ou en passe d’opérer dans le monde du travail. Elle n’est prise en compte que comme un préambule méthodologique, quasi rituel, et en fin de compte, il s’agit dans la plupart des cas d’un facteur purement superficiel et extérieur, qui ne modifie pas de façon substantielle la confection standardisée des interventions de formation.
D’un autre côté, les entreprises décident de faire une vérification linguistique uniquement lorsque les besoins linguistiques sont déjà devenus pressants, évidents, et rarement dans une perspective plus ample, pour des choix stratégiques.
Il est indéniable du reste qu’entre la formation linguistique et le tissu productif il existe une connexion qui a une détermination territoriale très nette. Les besoins en formation linguistique exprimés dans notre région ont en tout cas dépassé le cadre de référence de la filière touristique traditionnelle. Ils traversent maintenant horizontalement les branches et les rôles professionnels dans une phénoménologie qui peut coïncider avec l’univers du travail de bureau ou avec tout ce qu’englobe le secteur marchand au sens large.
Le bilinguisme du personnel est de plus en plus requis, tout particulièrement dans les fonctions de secrétariat.
Ce phénomène doit sûrement être mis en relation, du moins en partie, avec un phénomène correspondant, la diffusion de l’automatisation des flux d’information, qui fait en sorte qu’il soit presque toujours indispensable de se familiariser avec les principes de base de la syntaxe technique des ordinateurs, et donc avec l’anglais. ( .. . ) Du moment que le monde de l’économie a adopté l’anglais comme langue véhiculaire, pour les entreprises valdôtaines aussi la connaissance du code anglais devient une nécessité. L’importance de savoir le français est bien perçue, certes, mais il y a aussi la tendance à considérer que la formation sur ce code linguistique est moins stratégique.
Il est vrai par ailleurs que des interviews effectuées il y a plusieurs années dans des entreprises valdôtaines appartenant aux différents secteurs de l’économie ont permis d’aboutir au constat que la connaissance du français est jugée bonne chez les jeunes, ce qui confirme le bon fonctionnement du système scolaire et le professionnalisme des professeurs. ( … )

L’importance de l’enseignement des langues dans les parcours de l’instruction scolaire
Si ces considérations valent à l’intérieur des processus éducatifs de la formation professionnelle, il est tout à fait indispensable de les mettre en exergue et de les renforcer dans les parcours de l’instruction.
L’enseignement du français doit, dès lors, conduire à la conscientisation chez les jeunes que la maîtrise des langues communautaires, le bilinguisme, le plurilinguisme, est un élément fondamental de la société cognitive à laquelle ils sont confrontés, et une condition indispensable pour pouvoir jouir des possibilités professionnelles et personnelles ouvertes par le marché unique européen.
Le Livre Blanc de la Commission de 1995, intitulé «Éducation, formation, recherche: enseigner et apprendre, vers la société cognitive », le Livre Vert de la Commission de 1996, « Éducation, formation, recherche: les obstacles à la mobilité transnationale », l’Année européenne de l’instruction et de la formation tout au long de la vie ainsi que l’Année européenne des langues, 2001, soulignent l’importance et le développement des aptitudes linguistiques des citoyens européens, affirmant que l’apprentissage d’au moins deux langues communautaires est essentiel pour la promotion de la citoyenneté européenne et pour l’accès à l’emploi. Enfin, je crois que la construction d’une identité de connaissances, au cours de toute la vie, permettra de transmettre, de renforcer et d’affirmer les valeurs de l’appartenance linguistique, culturelle, sociale, territoriale… Ceci doit se traduire pour notre région par une plus grande attention pour l’éducation et la formation de ses habitants tout au long de leur vie. Elle doit s’investir dans cette direction pour surmonter les fractures éducatives entre les systèmes de formation, pour corriger les contradictions qui ressortent entre la formation et le système de production, pour affronter les nouveaux défis du développement local, et dans tout ceci pour affirmer la richesse évolutive d’une identité culturelle.

La formation permanente
Les modes d’apprentissage, de vie et de travail évoluent rapidement. ( .. . ) L’Europe d’aujourd’hui connaît une transformation d’une ampleur comparable à celle de la révolution industrielle: la technologie numérique transforme les divers aspects de la vie, les échanges, les déplacements et les communications à l’échelle planétaire élargissent l’horizon culturel des hommes et bouleversent les règles de concurrence entre les économies.
La vie offre aux individus plus de chances et de perspectives, mais elle porte en elle aussi plus de risques et d’incertitudes.
Dans ce type d’environnement social, l’actualisation des connaissances et des compétences relevant du contexte régional et local acquiert une importance primordiale. Le facteur déterminant est cette capacité qu’a l’être humain de créer et d’exploiter des connaissances de manière efficace et intelligente, dans un environnement en perpétuelle évolution.
Les connaissances, les compétences et la compréhension acquises en tant qu’enfant ou adolescent au sein de la famille, à l’école, en formation et dans l’enseignement supérieur ou universitaire ne dureront pas toute une vie. Il est très important, pour la mise en œuvre de l’éducation et la formation tout au long de la vie, d’intégrer davantage toutes formes d’apprentissage, dans la vie adulte et; néanmoins il ne s’agit là que d’une partie du processus.
La notion d’éducation et de formation conçoit toutes les formes d’apprentissage comme une offre ininterrompue d’un bout à l’autre de l’existence. ( … ) Les mutations économiques et sociales entraînent aussi une modification et une élévation du niveau des compétences minimales de base exigées pour participer activement à la vie professionnelle, de l’échelon local au niveau européen Les nouvelles compétences de base évoquées dans les conclusions du Conseil européen de Lisbonne sont les compétences en technologie de l’information, une culture technologique, l’esprit d’entreprise et encore la maîtrise de langues européennes. ( … )
Ces nouvelles compétences de base sont celles indispensables à la participation active dans la société et l’économie de la connaissance, (sur le marché de l’emploi et le lieu du travail, au sein des communautés réelles et virtuelles) d’une personne ayant une perception cohérente de son identité et de son parcours dans la vie.
Certaines de ces compétences, telles que la culture numérique, sont véritablement nouvelles, tandis que d’autres, comme la maîtrise des langues, acquièrent une importance plus marquée par rapport au passé. Bien que la bonne maîtrise de ces compétences de base soit capitale, elle ne constitue que le début d’un apprentissage; aujourd’hui les marchés du travail exigent un profil en évolution constante alliant compétences, qualifications et expériences.
Le déficit et l’inadéquation des qualifications sont largement reconnus comme l’une des principales raisons expliquant la persistance d’un taux de chômage élevé dans certaines régions, branches de l’industrie ou catégories sociales défavorisées.
Favoriser la recherche des solutions locales à des problèmes locaux
Je crois qu’il s’agit là de l’engagement futur des stratégies d’éducation et de formation que notre région doit mettre au point, perfectionner. ..
La gestion régionale et locale acquiert de plus en plus importance au fur et à mesure que l’exigence d’une prise de décision et de services “proches de la base” se renforce.
L’offre d’éducation et de formation constitue un domaine qui doit être affecté par cette tendance car la plupart des gens, de leur plus jeune âge jusqu’à la retraite, sont formés et veulent être dans leur environnement local et culturel.
A ce propos, je veux encore souligner que l’instrument financier principal, au niveau européen, qui soutient les régions (et considérablement notre région aussi) à actualiser l’employabilité des citoyens, actuellement se trouve être le F.S.E.
Le financement s’adresse à des programmes régionaux stratégiques, à long terme, ayant pour objectifs de développer les compétences, moderniser les qualifications des mains-d’œuvre, améliorer les perspectives professionnelles et l’esprit d’entreprises des citoyens.
La réalisation de ces objectifs passe notamment par une exploitation plus systématique des potentiels de développement et par une forte mobilisation des acteurs publics et privés locaux. Un des principaux messages du FSE affirme: “Favoriser la recherche des solutions locales à des problèmes locaux”.
Il s’agit donc d’un instrument de programmation et financier qui doit devenir, dans notre région, aussi instrument stratégique de formation à la culture d’identité en tant que précieux moteur du monde du travail.

Mme BANCOD Sylvie

Cohabitation de cultures et d’identié différentes: considérations sur le cas Vallée d’Aoste:
Les différences en Vallée d’Aoste et les changements culturels

Parler d’identité c’est présenter aussi les changements culturels et les différents aspects de la vie sociale de notre Pays. La société valdôtaine n’est pas une réalité immobile, figée dans le temps, mais, comme toutes les sociétés de ce monde elle a évolué et elle évolue, sous la poussée de ses dynamiques internes et sous la pression d’interférences externes. Pendant des siècles, les changements ont été graduels, parfois presque imperceptibles au fil des générations. Mais au cours de ces dernières années surtout, une accélération soudaine s’est produite et l’organisation de notre société traditionnelle a été sérieusement atteinte. Les mutations du modèle social ancestral ont affaibli la diversité entre ville et campagne et les changements ont été tellement rapides que les générations nouvelles ont de la peine à assurer la relève et à assimiler pour les réinterpréter le savoir, les coutumes et les langages de nos anciens.


TRANSFERTS CULTURELS ET IMMIGRATION

En particulier l’immigration constitue un des facteurs de changement de notre société, mais l’intérêt d’une politique d’ouverture et d’échanges, au seuil de ce troisième millénaire, entre l’Europe, la Méditerranée et les Pays en voie de développement, ne peut échapper à tous ceux qui aspirent à une meilleure répartition des ressources pour la construction d’un monde de paix, indispensable à la compréhension des peuples plutôt qu’à l’opposition des races et des cultures. Aujourd’hui plus que jamais la cohabitation dans un même espace restreint, tel que la Vallée d’Aoste, de communautés différentes, nous offre un terrain privilégié et une opportunité d’échanges, sans oublier dans une optique strictement économique l’atout et la chance que représente pour nos alpages et pour l’agriculture en général, la présence d’une force-travail immigrée qui constitue aussi une solution à la problématique démographique du dépeuplement et de l’abandon de la montagne.

PLURALISME CULTUREL ET IDENTITÉ RÉGIONALE
Ainsi la diversité des cultures met en relief d’une part le pluralisme de notre société multiethnique, ses aspects conflictuels et consensuels et d’autre part soulève le problème de l’identité. En effet, tout comme la langue est une composante de l’identité régionale, le territoire et sa collectivité correspondent au facteur agrégatif de cette même identité qui en conséquence ne peut être perçue de façon égale par tout le monde. On peut donc retrouver chez chaque peuple une:
– identité mémoire historique et patrimoniale (qui concerne le passé …)
– identité vécue (vie quotidienne, mode de vie actuel)
– identité projective (existence d’un projet régional, représentation du futur …)
Ce concept d’identité active peut être développé en particulier dans le domaine de la formation et de l’éducation, afin d’éviter de plonger dans l’ethnocentrisme et dans des attitudes stéréotypées. Mais c’est surtout par les moyens d’une politique interculturelle d’ouverture adaptée aux besoins, que les institutions et les associations devront encourager l’intégration des jeunes immigrés à l’école, où aujourd’hui on compte environ 300 élèves extracommunautaires, afin qu’ils puissent mieux apprendre nos langues et comprendre notre civilisation et en même temps favoriser chez nous la connaissance des cultures plus répandues, telles que les structures de la société musulmane où la religion est à la fois source du droit et réglementation du comportement, où la tradition, l’équité, l’utilité, dans l’interprétation sharaitique de la loi islamique, joue un rôle important aussi bien pour les sunnites que pour les shites. Enfin, mieux comprendre sur la base de la réciprocité, les mœurs des maghrébins qui représentent plus de la moitié des immigrés en Vallée d’Aoste, ne veut pas dire renoncer à sa propre identité ou s’homologuer, mais signifie éviter les ruptures afin que les relations entre Collectivités ne soient pas perturbées ou opposées. En conclusion toute analyse relationnelle peut être perçue ou vécue sur la base des ressemblances plutôt que des différences d’ouverture ou de fermeture; ce qui est important c’est encourager tous les acteurs socioculturels à développer des ponts avec les communautés immigrées afin de passer d’une dimension de voisinage à un respect des diversités, dans le but d’éviter et réduire toute distanciation, marginalisation et conflictualité entre groupes dans notre société valdôtaine.

M. RIVOLIN Joseph. Vice-président de l’Union Valdôtaine

Quelques réflexions au sujet de l’identité valdôtaine.

L’identité est la conscience de sa propre existence dans le temps. Ce mot et sa définition nous sont venus de la psychologie et de la psychanalyse, et ne sont appliqués aux sciences sociales, par des historiens, des anthropologues et des sociologues que depuis les années 1960-1970. Lorsqu’on parle d’«identité collective» d’un peuple, d’une nation, on emploie donc des mots nouveaux, tout en faisant référence à des réalités qui remontent loin dans le temps. Comme pour l’individu, l’identité collective se forme par le contact relationnel, par l’interaction avec le milieu environnant et avec d’autres sujets qui expriment une identité différente. Il y a donc un problème de relation entre identités collectives distinctes, mais aussi un problème de cohésion interne, qui engendre une crise si l’identité collective est perçue comme une globalité étrangère par rapport aux individus qui sont censés se reconnaître dans ses valeurs et dans ses symboles. Deux sont les issues possibles de cette crise identitaire: soit la modification de l’identité de l’individu, soit la modification de l’identité du groupe. En cas de conflit particulièrement grave, on aura soit l’expulsion de l’individu, soit la dissolution de l’identité collective.
L’identité collective se présente donc sous deux aspects complémentaires, l’un objectif, concernant le groupe et sa cohésion, l’autre subjectif concernant l’individu et son intégration. L’interaction physiologique de ces deux éléments est le moteur de l’évolution de l’identité, qui ne peut donc être immuable et figée, mais doit, pour être vitale et viable, être dynamique et perpétuellement en construction; tout comme les individus, qui grandissent et mûrissent en acquérant de nouvelles connaissances. Comme la psychologie individuelle, la psychologie sociale reconnaît à l’identité collective une dimension locative, représentée par le domaine géographique occupé par le groupe, le peuple, la nation concernés; une dimension intégrative, constituée par la mémoire historique de la collectivité, les mythes et les symboles communs élaborés par l’élite intellectuelle et politique, qui joue un rôle crucial à ce sujet; et une dimension sélective, consistant dans les mécanismes d’orientation de l’opinion publique selon les décisions dictées par les organismes de direction.
La théorie de l’ «identité collective» a permis à la recherche historique et anthropologique de dépasser le concept, de souche matérialiste et plus spécialement marxiste, des groupes ethniques ou nationaux considérés en tant que «groupes d’intérêts» en compétition pour l’appropriation des ressources (par exemple les Israéliens et les Palestiniens en lutte pour la disponibilité de l’eau, ou les minorités telles que les Basques, les Catalans, les Tyroliens du Sud et les Valdôtains «plus riches» que les Espagnols et les Italiens). Elle a permis aussi d’identifier les «noyaux intouchables» de l’identité collective, l’éthnos, en entamant lesquels on provoque des conflits. On s’accorde à reconnaître ces éléments dans le territoire (tòpos), le patrimoine biologique (ghénos), la langue (lògos), les valeurs et autres règles de cohabitation (éthos) et la mémoire collective (épos).
C’est en reconnaissant dans notre communauté ces éléments, qui forment l’ethnos, qu’on peut répondre positivement à une question, qu’on nous adresse de plus en plus souvent et à laquelle certains milieux transversaux de la politique, de la presse et de l’ « intelligentsia » italophones ont cru pouvoir donner une réponse négative, ou tout au plus interlocutoire, en parlant d’une identité «proclamée» ou «construite» récemment. Il faut, par ailleurs, remarquer que ces éléments caractérisant l’identité d’un peuple sont rarement tous présents en même temps et avec la même intensité chez tous les peuples. Les Juifs, par exemple, ont gardé une cohésion identitaire absolument extraordinaire, pendant deux millénaires, sans avoir un territoire propre; alors que les Irlandais qui ont eux aussi une très forte identité nationale, ont pratiquement oublié leur langue ethnique, le gaélique, remplacé par l’anglais. Rien qu’à regarder une photo prise d’un satellite, on constate que le territoire de la Vallée d’Aoste, notre topos, est très fortement caractérisé au point de vue géographique et foncièrement marqué par la présence des montagnes, qui définissent avec précision ses confins et influencent profondément la mentalité de ses habitants. L’histoire a constamment suivi la géographie: depuis le XIe siècle au moins, mais très probablement dès l’époque romaine, notre région a constitué une unité administrative étonnamment stable, tant pour le temporel que par le spirituel; au point que les quinze ans du Département de la Doire napoléonien et les vingt ans de la «Provincia d’Aosta» fasciste représentent les seules exceptions connues.
Pour affronter le discours sur le ghénos, les caractéristiques biologiques de la population valdôtaine, il faut tenir compte une fois encore de l’ « intramontanisme » géographique de la région, qui comprend deux réalités distinctes, correspondant à la célèbre formule de Bernard Janin: «cellule et carrefour». A la stabilité de la population des communautés montagnardes, attestée par la permanence de certains clans familiaux dans les lieux d’origine des siècles durant, correspond la mobilité de la population vivant le long des axes routiers principaux, où l’immigration est un phénomène enraciné depuis fort longtemps, surtout à Aoste et dans la basse Vallée, bien que limité au point de vue quantitatif. Ce n’est qu’à partir des années 1920, que le flux migratoire provenant des autres régions d’Italie a pris des dimensions considérables et que les mariages mixtes se sont multipliés. Actuellement une nouvelle vague d’immigration se profile, venant des Pays en voie de développement, parallèlement à ce qui se passe dans tous les Etats de l’Europe occidentale, et pose de nouveaux problèmes, qui dépassent la sphère de la confrontation linguistique pour concerner l’ensemble du système des valeurs.
La langue, le lògos, est l’élément qui a le plus souvent animé le débat autour de l’identité valdôtaine. Ce n’est donc pas le cas de revenir sur les étapes de l’histoire linguistique de la Vallée, sinon pour rappeler que le bilinguisme français – franco-provençal qui s’était implanté depuis le Moyen Age a laissé la place, au cours du XXe siècle, à un plurilinguisme inégalitaire, où l’italien occupe une place prépondérante. La vallée du Lys mérite, évidemment, un discours à part.
L’ethos, l’ensemble des valeurs traditionnelles, religieuses, civiles et morales, a pris en Vallée d’Aoste des formes spécifiques. Pour ce qui est de la religion, on rappelle en vrac: le monopole exercé par les communautés canoniales, en rapport avec l’absence ou presque de monastères; l’élaboration d’une liturgie particulière qui, contrairement à la grande majorité des liturgies diocésaines médiévales, ne fut abolie qu’au XIXe siècle; l’importance que les coutumes religieuses attribuent à la sacralisation du territoire et particulièrement de la montagne; le jansénisme disciplinaire du clergé, correspondant à la sobriété des manifestations de la religiosité populaire; le rôle que remplit la religion catholique dans un moment crucial de l’histoire, lors de la crise politique de 1536. Au point de vue institutionnel, on doit souligner la mise en place d’un système fondé sur les franchises médiévales, sur la création d’institutions particulières et sur la codification des règles sociales, cristallisées dans le Coutumier ; mais aussi sur les formes de participation à la gestion économique des ressources, comme les consorteries d’alpage, les laiteries sociales, les fours communs et les réseaux d’irrigation. Autant d’expressions d’une personnalité politique et juridique consciemment distincte par rapport aux réalités territoriales environnantes.
L’épos, enfin, la mémoire collective du peuple valdôtain, pénètre à fond toute la culture régionale, axée principalement sur l’historiographie et sur des thèmes d’intérêt ethnographique. Il s’agit d’une culture «militante», identitaire avant la lettre: c’est en particulier le cas de Jean-Baptiste de Tillier et de François-Gabriel Frutaz, qui insistent sur l’importance des institutions locales, mais aussi de Joseph-Auguste Duc et de Louis Jaccod, qui soulignent plutôt la continuité du rapport de fidélité avec la maison de Savoie comme une constante de l’identité politique régionale. La caractérisation essentielle qui ressort de l’ensemble de la production intellectuelle valdôtaine et de son autoreprésentation est en tout cas, une fois encore, l’ « intramontanisme », fortement ancré sur les données géographiques et sur leurs conséquences anthropologiques, que résume la notion de «civilisation alpestre», évoquée par Joseph Bréan.
Résumons: l’identité collective du peuple valdôtain existe bel et bien, contrairement à ce qu’affirment certains, et elle est constituée de plusieurs éléments en évolution, le plus stable étant la symbiose avec un territoire montagneux, d’où découle le caractère «intramontain » de ses habitants et de sa civilisation, qui s’exprime tant au niveau des langues, qu’à celui des institutions, des modes de vie, des représentations symboliques et de l’autoreprésentation.
Quel est l’état de santé de cette identité? En 1979 la sociologue Chantal Saint-Blancat remarquait que la vie sociale des Valdôtains présentait un dualisme réel, mais non conflictuel, de cultures, qui trouvaient leur point de contact dans une réalité locale de type dialectal; cette situation tendait à évoluer en faveur du groupe dominant, parallèlement à la substitution des modèles de comportement traditionnels par des modèles nouveaux.
Dans ces derniers vingt ans la situation a-t-elle évolué ultérieurement?
Il est certain que la globalisation des marchés et des communications change certaines des données du problème et qu’elle aggrave les risques de disparition complète de la civilisation traditionnelle; mais elle offre aussi des opportunités, en ce qu’elle fait ressortir davantage les éléments originaux des identités locales et met à la disposition des peuples minoritaires des potentialités technologiques extraordinaires pour la diffusion de leurs messages.
Le problème des relations avec d’autres identités est donc autrement plus complexe que la simple opposition valdôtaine – immigré ou français – italien. Le second aspect problématique de l’identité collective est représenté, comme je l’ai rappelé au début, par la cohésion interne. Sur ce terrain, le danger est moins évident, plus sournois et donc plus grave. Il est constitué par la possibilité que les membres de la communauté ne se reconnaissent plus dans des valeurs et des symboles communs, ce qui entraînerait la dissolution de l’identité. C’est là le véritable cheval de Troie qui peut pénétrer à l’intérieur de n’importe quel bastion: et les défenseurs qui s’acharnent à scruter l’horizon pourraient s’apercevoir trop tard d’avoir introduit eux-mêmes à l’intérieur de leur citadelle l’ennemi, qui aura entre temps commencé à semer dans la communauté la mauvaise herbe de la division, en oubliant l’exhortation du chanoine Bréan: laissons de côté les petites choses qui nous divisent pour songer aux grandes choses qui nous unissent.
C’est là l’esprit des pères fondateurs de l’Union Valdôtaine, qui tout en étant porteurs d’idéologies différentes, se sont reconnus dans la nécessité – je cite l’article 1 des premiers Statuts de notre Mouvement – «de promouvoir et de défendre tous les intérêts de la Vallée d’Aoste et des Valdôtains».

M. PASTORET Ennio, Assesseur régional

Nous devons assurer au Pays d’Aoste un avenir forgé par nos choix
L’assesseur de l’éducation et de la culture Ennio Pastoret a résumé dans son intervention les faits principaux qui se sont produits au cours des deux dernières années, qui ont vu l’école soumise à une série de réformes déclenchées à l’échelon étatique, telles que la réforme de l’examen d’Etat et par la suite du dimensionnement scolaire, de l’autonomie des établissements scolaires, de la réforme des cycles, du prolongement de l’obligation scolaire, des nouveaux programmes d’enseignement et de la formation professionnelle. « Ces réformes nous ont fourni l’occasion d’intervenir sur notre système scolaire, de le réformer d’une manière plus adhérente à nos espoirs et aux besoins de notre communauté ».

Le dimensionnement des institutions scolaires
“La première question qui a été abordée au cours de cette législature a été celle de l’examen d’Etat avec la loi sur la quatrième épreuve de français. Par la suite d’autres mesures ont été adoptées, à savoir le dimensionnement des institutions scolaires qui nous a apporté à faire le choix de rassembler dans les mêmes institutions les écoles de base (maternelles, élémentaires, écoles moyennes) et dans un autre regroupement les écoles secondaires supérieures.
Avec le dimensionnement nous avons prévu une distribution des écoles de base sur le territoire ayant comme repère les confins des Communautés de montagne, ce qui nous a permis ensuite, avec la loi régionale sur l’autonomie des institutions scolaires, de prévoir la participation des collectivités locales aux décisions des institutions scolaires et des établissements de l’école de base.
Aujourd’hui pour ce qui est de la création, de la suppression ou du maintien des écoles dans nos communes, les collectivités locales pourront exercer leurs droits de choix en accord avec les chefs des institutions scolaires. De plus: les collectivités locales pourront aussi entamer les dialogues nécessaires et utiles pour permettre aux parents d’élèves d’être représentés par leurs élus au sujet de la politique scolaire présente sur le territoire de compétence. Certes, cela demandera des efforts et un engagement nouveau et accru.
Nous avons donc bâti, par ces choix, la charpente d’un système scolaire ancré sur le territoire, à la réussite duquel l’Administration Régionale participera par la mise à disposition du personnel, la garantie des recettes budgétaires et le contrôle de caractère générai”. ( … ).

L’autonomie scolaire
Un instrument important pour renforcer les performances de l’école est constitué par la loi régionale sur l’autonomie des établissements scolaires.
“II s’agit d’une mesure novatrice de grande envergure, qui prévoit un système d’évaluation du système éducatif qui devra vérifier la capacité de ce même système d’atteindre les résultats fixés dans le domaine de l’apprentissage selon les programmes et les adaptations aux programmes au sens des articles 39 et 40 du Statut.
Les nouveaux programmes sont en voie de définition sur la base de la nouvelle organisation des écoles. Une partie de ces programmes concernera obligatoirement les enseignements locaux en application aux articles 39, 40 et 40 bis du Statut spécial et devra s’intégrer avec la partie générale des programmes de l’Etat.
Une commission nommée tout récemment par le Gouvernement valdôtain est en train de travailler pour définir ces “curricula” régionaux dans lesquels la partie des enseignements consacrés aux matières spécifiques devra être prévue selon le Statut et les dispositions de la loi régionale sur l’autonomie scolaire. Il s’agira là d’un travail long et complexe par rapport auquel nous devrons achever un parcours qui s’annonce dur et difficile qui devra nous permettre de consacrer un espace aux langues et à la culture régionale.
Les établissements scolaires auront des marges d’indépendance opérationnelle importants et leur rapport avec le territoire sera un des points forts à exploiter de la part des Communes et des Communautés de montagne qui auront le droit et le devoir de représenter aux écoles les besoins de formations existant sur le territoire ainsi que les différentes exigences des citoyens liées à l’éducation.

L’Université
II faut avoir pleine conscience que notre Région nécessite, plus que jamais, de nouvelles générations ayant un niveau très élevé de préparation et pour garantir cela nous avons déployé tous les efforts nécessaires pour créer l’université de la Vallée d’Aoste.
C’est un pari qui a réussi. A partir du 18 septembre 2000 l’Université, instituée par acte du Gouvernement valdotain et par arrêté du Président du Gouvernement est reconnue par le Ministère de l’Université et elle représente une réalité dans notre Région. Certes nous ne sommes qu’au début de cette aventure. Mais il s’agit d’une réalisation d’une valeur énorme dont les retombées et les bénéfices pour notre Pays seront, au fil du temps, toujours plus évidents. ( … )
L’Université de la Vallée d’Aoste a une perspective moderne de l’éducation car dans notre nouvel athénée siègent et enseignent des professeurs venant de pays francophones et qui représentent la moitié du corps académique de l’université. Ces profs, apprennent à nos étudiants, bien sûr en français, la didactique et de la pédagogie de ces Pays, fournissant ainsi une base pratique dans ces matières. Cela nous permettra de forger une classe enseignante avec une spécialisation et une culture internationale dont nous avons désormais besoin dans ce troisième millénaire. Et ce sont ces enseignants qui formeront au bout de quelques années la charpente d’un système scolaire public plus efficace, avec des compétences accrues et avec des connaissances de base liées à nos besoins, à notre culture, à notre pays.
Voilà donc comment à côté de la réforme scolaire nous avons prévu aussi la formation d’enseignants formés et forgés au Val d’Aoste sur la base des exigences de notre communauté. ( .. . ) Toujours dans le domaine universitaire on est en train de créer les conditions pour faire démarrer, à partir d’octobre 2001, des cours universitaires dans le secteur de l’économie et de la gestion, et d’autres suivront dans les années à venir. Nous avons de grandes ambitions pour ce qui est de cette Université de la Vallée d’Aoste à laquelle l’Administration régionale est en train de fournir les ressources financières pour son développement. L’université rôle important de développement de la recherche, de la diffusion du savoir et de la croissance culturelle de notre communauté. Bien sûr elle devra avoir une indépendance et un attrait que nous devons contribuer à lui garantir.
Et plus cet attrait sera grand, plus elle saura capturer l’intérêt des jeunes venant un peu de partout. Il va de soi que cet attrait ne devra pas être tel par la souplesse et la lassitude, mais par le sérieux et par le haut niveau de compétence qui sera requis aux étudiants.

Le plurilinguisme
En revenant plus en général à l’école d’autres défis nous attendent au cours des mois qui viendront. Si d’un côté nous devons penser à notre enracinement sur notre territoire, nous aurons toujours plus à nous confronter avec le village planétaire global. Voilà pourquoi nous nécessitons d’un système scolaire ancré sur le territoire, qui permette une véritable intégration entre l’école et la Communauté, suivi d’une phase d’études universitaires qui soit à même d’avoir les volets ouverts sur le monde.
Et c’est dans cette perspective que nous avons lancé il y a désormais deux ans l’expérimentation de l’apprentissage de l’anglais dans quelques écoles maternelles et dans les écoles primaires. Cette initiative a anticipé en quelque sorte les actuelles expériences liées à l’année mondiale de langues prévue par le Conseil d’Europe pour cette année 2001. Nous avons ainsi donné une réponse importante aux nécessités de nos jeunes de posséder des compétences linguistiques accrues en raison des nécessités présentes dans une société complexe et globalisée comme celle de notre époque et il faudra encore insister là dessus.
Ce qu’il est important de signaler de cette expérience c’est qu’elle a renforcé l’appréciation envers le français qui est perçu d’une façon positive grâce aussi à cette initiative, car son étude commence à être vécue comme l’approfondissement d’une des langues officielles de la Communauté européenne, et donc un important instrument de communication et de connaissance.
Je pense que nous devons renforcer ce sentiment par lequel notre langue française ne doit pas être perçue comme une entrave, mais comme une grande opportunité. Et pour ce faire elle doit devenir un véritable atout qui nous permette aussi d’ouvrir des portes extérieures à notre Région. C’est pourquoi depuis un an nous avons commencé à tisser les premiers contacts afin que le bac acquis dans notre Région soit reconnu aussi en France avec un accord de réciprocité entre la France et l’Italie concernant le Val d’Aoste. Ce qui dans la perspective de la dimension européenne de l’éducation pourra permettre à nos jeunes une liberté accrue dans le domaine des études et de l’emploi. ( … ) Je pense donc que nous sommes en train de faire des choix sages qui vont dans la direction de fournir davantage d’instruments de connaissance à nos étudiants. Il ne faut jamais oublier que ce n’est qu’avec la connaissance que l’on peut comparer les idées et par la suite choisir celles que l’on juge les meilleures. Et si nous sommes convaincus que nos idées et nos idéaux sont meilleurs que d’autres nous ne devons avoir aucune crainte. Un jour ces jeunes à qui nous donnons la possibilité de connaître davantage choisiront nos idées si elles continuent à demeurer les meilleures et si ces jeunes auront la liberté de pouvoir le faire.

Le français
J’ai parlé de liberté car je ne sais pas si ce Pays d’Aoste demeurera libre encore dans les décennies qui viendront. Je crains que le futur puisse être moins bon de ce que nous souhaitons. Je regarde ce pays où nous vivons et je pense qu’il nous faudra beaucoup de chance dans notre futur si nous ne serons pas à même d’être unis et d’être munis contre ces ennemis si rusés. Nous les avons vus agir, nous les avons entendus parler et il faut bien dire qu’ils ont su charmer pas mal de gens.
Nous les avons vus et entendus au cours des dernières deux années se prononcer maintes fois sur le français, qu’ils définissent « un problème ». Ce sont ces mêmes gens qui affirment que nous disposons d’un bien-être que nous ne méritons pas, nous étant élargi par un Etat trop généreux, que nous ne sommes pas du tout particuliers, que notre langue française n’est rien d’autre qu’une devise sans correspondance dans notre milieu.
Ces gens-là nous le retrouvons soit à droite soit à gauche. Ils représentent un véritable danger pour notre futur, ils représentent une conception de la politique qui veut nier les principes fondamentaux de l’existence de notre Pays, car c’est de ce Pays même qu’ils n’en veulent pas.
Je vous invite, chers amis, à ne pas oublier ce qui s’est passé à l’occasion de la première réforme que nous avons abordée au cours de cette législature: celle de l’examen d’Etat et de la quatrième épreuve de français. Les faits sont connus, y compris les conséquences qui en sont découlées: les grèves et les manifestations des étudiants et des professeurs, le referendum contre le français portant sur la loi approuvée par le Conseil de la Vallée.
Pourquoi je cite ces faits? A l’heure actuelle tout le monde pense que ce qui a été s’est bel et bien écoulé, que nous avons vécu des moments difficiles et que maintenant notre vie peut bien continuer normalement comme avant. Je pense, par contre que jamais faute serait si grave si nous nous réfugions dans ces illusions et ne nous interrogions pas sur ce qui s’est passé.
De toute cette affaire j’ai tiré une conviction qui, si elle s’avérait exacte, devrait fort nous inquiéter: j’ai constaté qu’au delà des sympathies et des aversions au français qui ont toujours été présentes, pour la première fois une contestation si imposante, si profonde, si étendue, s’est avérée possible sur ce thème. Si cela est vrai et je suis convaincu que c’est vrai, il faudra se demander quelles sont les conditions qui l’on rendu possible. Pour la première fois depuis notre Statut d’autonomie il y a eu une contestation si massive, continue et prolongée de notre langue. Tout a été mis sur le terrain. Tout argument a été bon pour maintenir, sur cet aspect, les tons d’une campagne électorale permanente s’adressant aux citoyens pour nous mettre aux prises avec des ennemis de la justice, des oppresseurs de la liberté linguistique et culturelle.
Mais les aspects que parmi les autres je considère particulièrement graves sont deux :
– le premier qu’un bon nombre de Valdôtains se sont fait charmer par ces sirènes et il nous a fallu constater que parmi eux les unionistes n’étaient pas absents;
– le deuxième concerne l’attitude, au sein des institutions, dans le Conseil de la Vallée même, d’un certain nombre d’élus, non pas appartenant à notre Mouvement, prêchant alors et aujourd’hui une opposition totale au français.
Chers amis, nous ne vivons plus dans le Pays dont beaucoup d’entre vous ont bonne mémoire. Dans le passé nous avons connu nombre d’élus et d’hommes politiques qui même en étant nos adversaires avaient le respect institutionnel de la culture à laquelle ils appartenaient. Aujourd’hui ce n’est plus ainsi. Nous devons donc, malgré nous, prendre acte qu’une nouvelle philosophie, que différentes attitudes politiques, qu’un mépris accru caractérisent, dans notre Pays d’Aoste, l’opposition à nos langues, aux racines de notre identité et aux fondements de notre autonomie. Les événements de ces dernières années nous ont appris que des brèches importantes se sont ouvertes. Qu’au delà des efforts qui ont été fait au cours de ces 50 ans il y a eu un affaiblissement de notre culture!
Qu’est-ce que nous devons faire pour ne pas être encore plus homologués dans le futur?
Je crois qu’il serait facile de chercher des alibis en se réfugiant dans le mauvais fonctionnement d’un système scolaire ou dans l’inapplicabilité de certaines mesures, ce qui nous porterait conséquemment à parcourir d’autres chemins.
Pour ce qui est de l’école j’ai dit quelles sont les perspectives et le travail qui nous attend dans le cadre des réformes qui sont en acte. Je pense que nous avons le devoir de maintenir notre engagement sur ce terrain et de conclure ce travail. Et cela nous devons le faire avec le sens d’un respect profond que nous devons à notre communauté.

La double filière
Je m’adresse maintenant aux amis de la Jeunesse Valdôtaine et je leur parle avec le cœur et le sentiment qu’ils comprendront bien ce que je veux leur dire. J’ai lu leur projet de résolution pour le Congrès. J’en partage les principes, j’en partage l’esprit, je comprends leur volonté d’agir, puisqu’il peut bien apparaître que l’on n’a pas réalisé ce que l’on vous a toujours promis. Je m’excuse avec vous. Nous tous devons le faire parce que nous parlons toujours de vous, des jeunes, mais nous ne tenons pas toujours nos promesses.
J’ai tous ces sentiments envers vous, mais je ne partage pas votre proposition d’une école privée de deuxième filière. Et je vais vous dire pourquoi avec toute l’amitié que je vous dois pour avoir été, vous, parmi ces peu de personnes qui à l’époque de la contestation ont eu le courage de dire haut et fort ce qu’ils pensaient en m’assurant votre soutien aussi au point de vue personnel. Dieu sait si cela n’a pas été important quand on s’est senti un peu trop seuls dans cette lutte. C’est quelque chose qu’il ne faut pas oublier. Il ne faut pas oublier le courage que vous avez eu, lorsque vous avez, vous seuls, distribué des tracts en pleine contestation, lorsque vous avez été les seuls à être présents sur le terrain parmi des milliers d’adversaires et que personne n’était avec vous. Je me dois de vous remercier aujourd’hui, ici, au nom de l’Union Valdôtaine pour cela.
Chers amis, je suis le premier à être charmé par le rêve d’une école sur mesure, mais il est vrai aussi que nous avons le devoir de prendre en charge le besoin de tout un peuple. Nous ne pouvons pas nous renfermer dans des situations élitaires. La volonté d’affirmer notre spécificité et d’épanouir notre culture doit concerner toute notre collectivité, les gens démunis plus encore que ceux qui ont davantage de possibilités. Et à cette grande partie de notre population qui ne représente pas une élite, mais qui est porteuse d’exigences importantes nous nous devons de fournir l’attention nécessaire afin que dans l’école publique elle trouve la qualité et le soutien pour faire avancer les espoirs de ses filles et de ses fils. Voilà le terrain sur lequel nous devons nous battre. ( .. . )
A l’heure actuelle, au sujet de notre école valdôtaine, j’estime que les mesures que nous avons prises avec la loi sur l’autonomie représentent un cadre de référence permettant aux élus des collectivités locales de déployer sur le territoire une action assurant à notre culture d’être prise davantage en charge par le système scolaire en renforçant ainsi nos espoirs et l’action politique de notre Mouvement ( … ).

Participer aux choix dans le domaine scolaire

Je me dois toutefois de rappeler qu’il ne suffit pas d’approuver des lois si par la suite on ne participe pas aux processus décisionnels que ces lois nous offrent. Nous ne pouvons pas prêcher la nécessité d’une école valdôtaine lorsque les valdôtains ne participent pas à sa réalisation. Si telle est notre attitude ils ont bien raison nos amis de la jeunesse de secouer nos certitudes.
Il est indispensable d’assurer une présence forte et continuelle dans les assemblées où les décisions se prennent. Notre présence dans les organes collégiaux est trop faible. ( … )
Cette absence, permettez-moi de le rappeler, a été particulièrement grave dans tout le débat concernant la 4eme épreuve de français au bac. Dans le Conseil scolaire régional qui est une sorte de parlement de l’école valdôtaine notre représentativité est insuffisante. Ceux qui votent et remportent la majorité sont ceux qui soutiennent souvent le contraire de ce que nous voudrions, car nous n’avons pas le nombre pour soutenir ces thèses que nous tous partageons quand nous sommes réunis entre nous, mais qui manquent d’un soutien concret et pratique dans la réalité.

Le problème de la « spendibilità »
Permettez-moi d’ajouter quelques considérations finales quant au problème de la dite “spendibilità” de l’examen de français. Je trouve que ce terme donne fort bien l’idée de ce qui a été un véritable marchandage commercial.
Et c’est dommage qu’on ne l’a pas baptisé en français où le mot “spendibile ” se traduit par l “monnayable “.
Eh! Oui, on a fait du marchandage autour de cette question du français et ce marchandage l’ont bien fait ceux qui nous accusent d’être trop matérialistes et malheureusement ils ont trouvé un certain consensus parmi les gens. Si notre sentiment devait être celui de sauvegarder notre culture et notre école, c’est bien pour ça que nous n’avons pas voulu rendre monnayable ce titre pour ceux qui après avoir réussi leur bac auraient continué leurs études dans les universités non francophones et qui après avoir obtenu leur licence se seraient consacrés à l’enseignement.
Pendant ces dernières années nous avons consacré nos efforts à modifier l’école, sa structure et la formation des enseignants. Nous ne pouvions et nous ne devions pas rendre vains tous ces efforts en permettant l’accès à l’enseignement sans qu’il soit accompagné par des compétences spécifiques. Je suis navré que beaucoup de valdôtains ne l’aient pas compris.
Peut-être nous ne l’avons pas expliqué suffisamment, peut-être nous n’avons pas été clairs. J’ai quand même le sentiment que quand on ne veut pas vous écouter aucune explication n’est possible et même parmi nous il y en a eu qui n’ont voulu entendre aucune raison et aucune explication.
Moi je suis toujours plus convaincu que nous avons bien fait d’affronter cette lutte. Nous avons pu tenir la barre de la situation, mais la question n’est pas close, bien au contraire, nos adversaires essayeront encore et encore d’y revenir.
Voilà pourquoi je pense que sur ce thème nous avons le devoir d’être unis et conscients des dangers futurs et d’essayer de faire vivre notre culture et notre identité par notre engagement, par notre volonté d’appartenir davantage à ce Pays d’Aoste à qui nous devons assurer un futur qui puisse être forgé par nos choix.

M. LOUVIN Robert, Président du Conseil de la Vallée

Décliner l’identité valdôtaine dans la modernité
Le Congrès que nous sommes en train de célébrer est extraordinaire par un courage que nous avons dans notre Mouvement de mettre sur la table les problèmes, d’énoncer, de critiquer, de composer, de dialoguer ouvertement sous les yeux de toute la communauté valdôtaine des stratégies qui sont élaborées dans l’intérêt de cette même communauté valdotaine des stratégies qui sont élaborées dans l’intérêt de cette même communauté.
Je tiens dans ce Congrès thématique à rendre un hommage nécessaire aux hommes et aux femmes qui à l’instar d’Emile Proment qui a ouvert ce Congrès rendent possible aujourd’hui le fait d’être ici à discuter de ces sujets, de par la résistance qu’ils ont eu, de par l’opiniâtreté par laquelle ils ont défendu l’idéal qui est encore le nôtre, tout en considérant les temps qui ont changé, les conditions qui ont évolué, les circonstances qui se succèdent. Ces hommes et ces femmes ont été la colonne vertébrale de notre Mouvement, même s’ils n’ont pas reçu les honneurs et les hommages qui leur auraient été dus en temps et lieu.

L’identité: une ressource et non un handicap
Je ne reviens pas sur la notion d’identité, nous avons écouté des rapports documentés et intelligents, mais je me bornerai à dire ce qu’elle est ou plutôt ce qu’elle doit être: elle doit être une ressource et non pas un handicap, elle doit être une richesse et non pas un poids à porter avec peine et avec fatigue, une grande chance que nous avons et que nous devons entretenir, conscients qu’elle est un héritage mais qu’elle est aussi un choix de chaque jour pour renforcer les identités des Valdôtains. Et j’emploie le pluriel sachant peut-être aller un peu contre-courant, mais je me demande s’il y a encore intérêt et dans quelle mesure à entretenir une idée trop abstraite de l’identité valdôtaine absolue. Il y a plus d’un demi siècle le chanoine Bréan l’avait résumée dans le message “Pro aris et focis”, “Pour la religion et la famille”. Quelle religion? Si nous déclinons l’identité valdôtaine au pluriel il y en a d’autres parmi nous et aussi des non-religions, et la Vallée d’Aoste et le peuple valdôtain les englobe. La notion de famille aussi a passablement évolué du sens traditionnel que nous lui accordions, patriarcale, bien ordonnée, pour se multiplier dans les formes, dans les choix que librement et dans un esprit de liberté nous lui accordons dans cette communauté valdôtaine. Nous avons donc des identités valdôtaines à défendre et à soutenir.
Les dernières décennies et les dernières années nous ont trouvés confrontés et nous trouvent encore confrontés à un nœud politique très délicat qui est celui d’une opposition que parfois l’on veut introduire chez nous entre ce que j’appelle les “purs et durs”, les intransigeants et les souples, ceux qui s’adaptent, peut-être un peu opportunistes, d’après quelqu’un, une division, un clivage entre les “Saint-Just” et les “Talleyrand” d’une politique valdôtaine. Or, je crois que l’une et l’autre de ces conceptions doit être écartée si nous voulons la force de notre mouvement et du peuple qu’il veut représenter, parce que nous avons besoin de conjuguer l’idéal et la fermeté avec la capacité d’adaptation et la capacité de mutation. C’est un exercice difficile et une synthèse qui est loin d’être aisée, mais nous pouvons y essayer.

Quelques petits éléments de stratégie …
Vous permettrez d’essayer de rappeler quelques petits éléments de stratégie, une stratégie que j’aimerais un peu différente de celle de la stratégie des “bastions”. Je crois que nous sommes dans des temps où la mobilité et la rapidité s’imposent: une notion de bastion est une notion bien trop lourde et trop raide pour nous permettre de nous défendre. Nos enfants arrivent à la maison avec des petites cartes qu’on appelle les “pokémon” et le principal personnage de ces “pokémon” s’appelle “pikachù” mais ces petits animaux japonais sont entrés dans la tête de nos enfants en quelques mois seulement avec une rapidité terrible. Ils ont commencé à déformer – ou à moderniser – leur façon de penser, et vous avez beau les ressourcer quand ils reviennent à la maison, je vous assure que le “pikachù” est là-dedans et qu’il faut essayer d’y faire avec.
Je pense qu’il y a un problème à maîtriser et que nous devons l’affronter en étant conscients qu’il faut être rapides. Donc l’identité valdôtaine doit se décliner aussi suivant cette modernité d’images, de contenus, de moyens, d’instruments, notamment par la présence dans les nouvelles technologies, dans les nouveaux instruments de travail. Si vous téléphonez à un téléphone portable de la province de Bolzano la boîte vocale vous répond en deux langues, ici ça ne se fait pas; une carte bancaire vous permet de choisir, pas ici; à l’autoroute on vous répond en deux langues, pas ici: mais ça c’est pas de la faute à la Région, c’est pas toujours de la faute à nos administrateurs, c’est de la faute à nous tous qui ne sommes pas capables de nous insérer rapidement et cela parce que – là je suis peut-être un peu malin – nous avons tous un esprit un peu trop de chapelle, surtout dans les milieux où nous sommes présents et même actifs. Dans les milieux culturels, par exemple, chacun fait un petit bout de travail, chacun à une vision partielle, même les institutions culturelles, les sociétés savantes: chacun s’occupe d’une partie et personne ne s’occupe de l’ensemble. Alors il y a un esprit fédérateur, il y a un esprit de coordination et de cohésion que nous devons affirmer par-delà le parti politique, mais dans la société, d’être présents et courageusement présents pour que nous défendions cette originalité de façon de vivre, de s’exprimer, de concevoir aussi la modernité qui peut être la nôtre.

Mettre d’un côté la caricature du Valdôtain
Je pense pour cela que nous pouvons, nous sommes à même de mettre d’un côté maintenant la caricature du Valdôtain. Je ne m’y retrouve plus dans la caricature du Valdôtain qui nous a peut-être aussi aidés à mieux nous regarder dans le miroir, qui était celle du “Charaban”, de ces belles pièces qui ne reflètent plus aujourd’hui ce que nous sommes: le Valdôtain de l’an 2000 est différent et il ne doit pas regarder uniquement à l’arrière, il doit projeter en avant cette identité qui lui appartient et pour cela faire, en politique et en administration, nous devons l’assumer avec ses coûts et ses bénéfices. Parce que cette politique coûte et il faut convaincre les Valdôtains que l’on doit payer ces prix, parce que c’est un prix monter et soutenir tout un système d’éducation, de culture, de spectacle, de communication, qui permette à nos langues de vivre, de penser, de survivre et d’être répandues: ça coûte. Nous avons le devoir de faire cet effort de conviction, de persuasion que nous aurions peut-être dû faire par avance avant de cogner droit contre des problèmes qui se sont présentés devant nous dans les domaines scolaires ou autres que nous avons vécus tous d’une façon suffisamment dure et dramatique. Nous avons le devoir de convaincre les Valdôtains et de leur expliquer quels sont les bénéfices financiers aussi en perspectives, de qualité de la vie, d’ouverture d’esprit, de croissance culturelle, de bien-être, de fraternité. Je crois que nous avons les moyens et les capacités pour le faire.
Ne voulant pas conclure sur des tons aussi officiels, vous permettrez simplement d’imaginer très légèrement qu’à l’instar de ce qu’écrivait un écrivain québécois il y a quelques années: “à l’aube du quatrième millénaire, dans dix siècles, deux seuls peuples survivrons sur la terre: les Valdôtains et les Chinois, et ces derniers à condition qu’ils fassent encore beaucoup d’enfants”.

M. CAVERI Lucien, Député

Travailler dans la logique du «réseau» pour devenir les porte-parole d’une réalité montagnarde bien vivante

L’identité communautaire n’est pas facile à définir. Il y a les langues, les cultures, le milieu de vie, l’histoire, la mentalité, l’éducation, mais surtout, à mon avis, les sentiments, le sentiment d’appartenance, le sentiment de différence et le sentiment d’autonomie. Il faut réfléchir à ce propos sur le fait que la question linguistique est dans l’histoire valdôtaine tout à fait récente, malheureusement, mais la question de l’autonomie est bien plus longue: c’est la longue durée de l’histoire valdôtaine.
Il y a une belle phrase de Montesquieu qui dit: « La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent » C’est banal, mais c’est en réalité la photo des institutions modernes.
Moi je tiens à évoquer l’approche juridique, qui ne signifie pas être satisfaits du cadre juridique actuel, mais on ne peut pas s’abstraire de la réalité, surtout si on veut la changer. Ce qu’il y a d’essentiel pour être de vrais fédéralistes c’est qu’il ne faut pas être des idéologues: il faut être concret dans l’approche et donc j’essayerai de vous présenter le cadre actuel en Italie et en Europe.

Relancer le Statut d’Autonomie

Pour ce qui est des Valdôtains le point de départ reste le Statut d’Autonomie et donc le bilinguisme. En 1969, en affirmant que pour les Valdôtains il était obligatoire d’avoir un examen de “maturità” avec le français, la Cour constitutionnelle italienne disait: “La Corte ritiene che il ricorso sia fondato (contre l’examen de maturité de l’époque qui ne prévoyait pas le français). La parificazione della lingua francese a quella italiana disposta con il primo comma dell’art.38 dello Statuto è fondata sulla constatazione di una situazione di pieno bilinguismo sussistente di fatto nella Regione, dalla quale si sono fatti discendere effetti costituzionalmente garantiti circa l’eguale uso delle due lingue, in modo da escludere che nella Valle sia da attribuire la qualifica di ufficiale all’una o dell’altra, diversamente da quanto accade nella provincia di Bolzano”.
Il me paraît une chose sur laquelle réfléchir, dans le sens que le point de départ reste quand même le Statut d’autonomie et donc l’effort actuel est bien d’imaginer un Statut différent, plus proche des exigences des Valdôtains, mais il faut quand même regarder encore ce Statut qui existe et qui est vivant. Il faut même dire qu’il y a eu des modifications et il faut aujourd’hui réfléchir sur la portée de ces modifications. Nous avons eu d’un côté la reconnaissance de l’existence de la communauté Walser de la vallée du Lys et je pense qu’il s’agit là d’une modification importante de notre Statut, c’est-à-dire il y a eu la reconnaissance constitutionnelle d’une petite communauté qui n’avait pas eu une réelle reconnaissance avec le bilinguisme italien-français.
Mais il y a quelque chose à ajouter. Nous avons aujourd’hui une Commission paritaire qui comme pour les autres régions autonomes règle les rapports entre l’Etat et notre Région autonome. Comme vous le savez, la Commission paritaire n’existait pas pour le Val d’Aoste: il y avait eu à ce sujet une autre sentence de la Cour Constitutionnelle qui avait demandé l’approbation des décrets d’exécution du Statut. Nous avons maintenant un instrument extraordinaire qu’on est en train justement d’exploiter: on a réussi à écrire des dizaines de décrets jusqu’à maintenant! Mais ce qui est important c’est de réfléchir par exemple pour ce qui est de l’article 40 de notre Statut, où on parle de la nécessité d’avoir les dispositions et les programmes moyennant des adaptations opportunes aux nécessité locales et bien sûr la nécessité locale n’est pas seulement le français, mais la civilisation valdôtaine tout entière.
Eh bien, aujourd’hui pour écrire les programmes il y a une commission mixte, mais il faut dire que du point de vue juridique cette commission mixte existait justement parce qu’il n’y avait pas la Commission paritaire. Donc de pense qu’aujourd’hui qu’on doit relancer notre Statut, même où on dit justement à l’art 38 : « Les administrations de l’Etat prennent à leur service la Vallée autant que possible des fonctionnaires de la Région ou qui connaissent le français ». Nous connaissons la faiblesse de cet article, l’attitude de la part de l’Etat de nier chaque fois qu’il y a un concours la possibilité d’avoir des places réservées comme il se passe normalement pour les Sudtyroliens. Donc, à mon avis, il faut y travailler et c’est justement ce qu’on a fait: je cite un cas exemplaire, le cas des notaires. Il y avait un district des notaires qui siégeait à Ivrée, donc on ne pouvait pas prétendre des notaires d’Ivrée d’avoir le français. Aujourd’hui il y a eu finalement un décret d’exécution qui est la conséquence du fait qu’il y a eu la naissance d’un district de notaires d’Aoste, et dans le futur il y aura pour les notaires qui viendront au Val d’Aoste la nécessité de connaître le français.
Egalement ça n’a pas été facile vis-à-vis des Avocats d’Aoste de faire comprendre qu’il était nécessaire de prévoir pour les juges de paix l’examen de français. Le juge de paix qui doit avoir des rapports chaque jour avec les gens doit connaître le français. Et le cas de l’examen de “maturità” rentre dans la même logique de l’Université de la Vallée d’Aoste liée au monde francophone. Il y aura aussi une nouveauté lors des prochaines élections politiques: pour la première fois il y aura le bulletin de vote bilingue. C’est peut-être une petite chose, mais il faut justement regarder aussi aux petits symboles qui peuvent nous donner des avantages.

Travailler avec les autres communautés linguistiques
Mais notre action serait limitée s’il n’y avait pas une envergure en Italie aussi avec les autres communautés : moi je voudrais remercier les Occitans et les Franco-provençaux piémontais qui ont cité les rapports d’amitié.
Avec les Slovènes aussi on a longuement collaboré et finalement la semaine prochaine sera approuvée la loi de tutelle de la communauté slovène que j’ai présentée en tant qu’Union Valdôtaine à la Chambre il y a cinq ans. Il y a eu des rapports de grande amitié pendant la discussion de la loi de tutelle des minorités historiques avec les Frioulans, mais le plus grand rapport d’amitié est quand même celui avec les Sudtyroliens. Il s’agit de la plus grande réalité et celle qui a eu l’attitude juridique la plus importante pour sauvegarder son identité.
A propos de la loi sur les minorités, je tiens à souligner que ce n’est pas un hasard si à l’art. 2 on cite le français et le franco-provençal.
On avait discuté dans le passé si c’était le cas d’insérer le français, vu que nous avons déjà un Statut d’autonomie. Je tiens à vous dire d’abord que l’art. 18 prévoit que dans les Régions à Statut spécial l’application des dispositions plus favorables prévue par la présente loi est disciplinée par les règlements d’application des Statuts respectifs. Nous avons donc toute la possibilité d’y raisonner. Je pense qu’il pourrait y avoir quelques nouveautés même vis-à-vis du français. Par exemple la question des prénoms: jusqu’en 1966 on ne pouvait pas donner même au Val d’Aoste, un prénom francophone. Donc on pourra demander au Préfet – dans notre cas le Président du gouvernement – d’avoir de nouveau un prénom francophone.
Il y a aussi la question de la télévision et la loi touchera de toute évidence même la communauté Walser qui a déjà une tutelle: les Walser pourront par exemple demander de s’organiser avec les Walser du Piémont parce que c’est une prévision de la loi et la même organisation pourra être réalisée du point de vue officiel avec les amis qui parlent le franco-provençal dans les vallées du Grand-Paradis et je vous assure que pour eux, comme pour les Occitans, cette loi, qui a toute une série de limitations, était attendue depuis 50 ans. Donc si on peut justement la critiquer, il faut aussi reconnaître que pour les autres communautés il s’agit d’une loi tout à fait importante.

Regarder à l’Europe

Mais il faut regarder à l’Europe. D’un côté parce que nous sommes européens. Nous ne vivons plus dans une terre de frontière, selon la logique des Etats-Nations, mais nous sommes vraiment des Européens. Avec les autres nationalités, à savoir les Catalans, les Ecossais, les amis du pays de Galles et des Pays Basques nous sommes en train de travailler sur l’idée d’avoir un droit européen qui reconnaisse les communautés spécifiques comme les nôtres, pour avoir une véritable garantie internationale. Nous devons travailler là-dessus. Je rappelle à ce propos que l’Italie a signé la Convention-cadre sur les minorités nationales, nous sommes en train d’obtenir le vote parlementaire sur la charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
Dans la Charte des Droits de l’Union Européenne il y a une citation pour la première fois d’une notion importante qui est la notion de “minorité nationale”, qui est mieux que “minorité linguistique”, parce que c’est l’idée qu’il y a des différences même à l’intérieur de l’Europe. Donc je me permets pour conclure de dire que je partage bien sûr la logique du “bastion”, mais je pense qu’il faut aussi travailler dans la logique du “réseau”, c’est-à -dire à Aoste, à Rome, en Europe, dans le monde de la Francophonie, il faut trouver des alliés, justement parce qu’on ne peut pas penser que le peuple valdôtain puisse résoudre lui seul les différents problèmes de droit international que j’ai cités aujourd’hui, mais je suis convaincu que dans la nouvelle logique des espaces pour les petits peuples nous aurons notre espace et nous serons les porte-parole d’une réalité montagnarde et bien vivante.

M. VIERIN Dino, Président du Gouvernement Valdôtain

Éviter la solitude des institutions dans les moments importants de notre vie politique

L’identité, le thème de ce Congrès, suppose forcément l’existence d’un peuple, l’existence, en ce qui nous concerne, d’une minorité ainsi que l’acceptation du principe du droit à la différence. Pas d’identité donc sans prise de conscience de l’appartenance à un peuple, le peuple valdôtain, sans la prise de conscience de la nécessité d’agir résolument pour le maintien de l’existence de ce peuple, la sauvegarde et la promotion de ses traits marquants, de ses raisons d’être.

Les éléments constituant : l’identité.
Mais quels sont les éléments constituant l’identité d’un peuple et quels sont les éléments qui caractérisent le peuple valdôtain et la situation valdôtaine? Il est important de les préciser pour définir les orientations de notre activité et de nos actions.
Avant tout le nombre. C’est un élément important. La démographie est un aspect que nous devons prendre en compte, comme nous devons considérer les mouvements migratoires. Ce sont des problèmes importants, touchant notamment l’intégration sociale qui est nécessaire, d’où l’importance de définir – sur la base des principes du droit du sol – non seulement notre modèle de société, mais aussi et surtout notre modèle d’organisation scolaire. Ce n’est pas un problème uniquement valdôtain, mais pour nous c’est un problème capital.
Nous devons aussi considérer les éléments constituants de tout peuple: la langue ou les langues; ce sont les raisons d’être mêmes de l’autonomie. A cet effet, nous ne pouvons accepter l’accusation d’une approche « localiste ». Ce n’est pas – une fois de plus – un problème uniquement valdôtain et ce n’est pas non plus un problème qui oppose comme l’on veut souvent et toujours le faire au Val d’Aoste le français ou nos parlers traditionnels, à l’italien. C’est un problème qui concerne l’Italie aussi, face aux phénomènes de globalisation et de mondialisation, face à l’anglais tout-puissant. Il serait donc peut-être opportun qu’il y ait une prise de conscience de la signification de notre combat: qu’il y ait un soutien plus ample, général, aussi des italophones, vu que notre combat est également leur combat et que le respect et la promotion de nos langues signifiera également le respect et la sauvegarde des autres langues – et donc aussi de la leur – face à l’impérialisme anglophone dominant.
En tant qu’élément constituant il ya aussi le territoire, et là prenons garde: le territoire il faut le sauvegarder. Il est parfois navrant de voir combien de divisions dans nos communes découlent de la définition d’un plan d’occupation des sols! Nous devons en prendre conscience, comme nous devons continuer à prendre conscience de cette “dimension montagne” qui nous caractérise et qui aujourd’hui constitue un facteur important d’ouverture vers l’extérieur, vers l’Europe, un élément d’unité et de cohésion avec d’autres réalités, qui nous permettra de renforcer notre action.
Il ya enfin la culture, la civilisation, les valeurs. Nous devons réfléchir sur les valeurs de solidarité, tolérance, ouverture, dialogue. Pensons-y, non seulement pour les rapports au sein de notre communauté, mais également pour l’activité de nos associations, pour l’activité même de notre Mouvement.

L’identité institutionnelle et politique.
A ces éléments qui constituent les traits marquants de toute identité, nous devons ajouter au Val d’Aoste deux éléments qu’il faut valoriser davantage. Tout d’abord l’identité institutionnelle. La souveraineté, l’autonomie, et donc l’exigence de traduire cette identité dans un Statut, dans notre Constitution tout en sauvegardant les principes fondamentaux du “pacte”, de l”’entente”, ainsi que celui de l’intégration européenne, avec une attention particulière et un regard au-delà des Alpes vers cette euro-région du Mont-Blanc qui représente un ancrage de notre autonomie dans cette nouvelle dimension européenne. L’identité économique aussi est importante, vu qu’elle nous permet d’éviter toute colonisation. A cet égard faisons attention aux modes venant de l’extérieur, faisons attention à leurs retombées et à leurs conséquences. En effet, certaines théories sont à la mode: libéralisation, privatisation. Mais quelles sont les retombées au Val d’Aoste découlant d’une application pure et simple de ces théories? Nous avons, grâce à l’identité institutionnelle, la possibilité de garder une identité économique, de pouvoir utiliser au mieux nos ressources, qui s’appellent énergie, épargne, maison de jeux, université ou d’autres. Il est nécessaire d’agir tous ensemble pour éviter qu’on se partage et que l’on se divise sur des faux problèmes, en perdant de vue les perspectives de fond.
Nous avons enfin une identité politique: l’Union Valdôtaine. Or, même s’il est nécessaire de se remettre en cause, que nous devons réfléchir, que nous ne devons pas avoir une attitude statique, mais que nous devons au contraire tenir compte des changements et être, même sur le plan politique, dynamiques, prenons conscience que cette identité politique existe et qu’il est nécessaire, que nous devons la défendre.

Passer de la théorie à la pratique.
Mais, si nous avons ainsi défini les composantes de notre identité, qu’est-ce qu’il nous reste à faire pour passer de la théorie à la pratique? Je crois qu’il nous faut prendre conscience de deux facteurs. Tout d’abord que le salut ne vient pas de l’extérieur. Point de victimisme. C’est à nous de rechercher et de trouver les solutions, c’est à nous d’agir. Et ce, avec cohésion et unité: refusons toute tentative de division. Jamais comme aujourd’hui notre mot-clé ”l’union fait la force” est important. Mais, avec la cohésion et l’unité, il nous faut aussi de la cohérence, il nous faut l’engagement personnel, il nous faut une mobilisation générale pour passer d’une attitude passive à une action active, positive.
L’autre facteur est que les raisons d’être, les raisons fondamentales de notre identité et de notre autonomie sont la langue et la culture. Soyons donc attentifs aux cris d’alarme, qui nous viennent d’Emile Proment ou de la Jeunesse Valdôtaine, qui nous viennent de la mémoire du Mouvement, d’un “bastion” de l’Union Valdôtaine, et de ceux qui représentent notre futur.
Faisons attention à ne pas les décevoir : nous devons agir. A cet égard je vais prendre comme exemple de ce que nous ne devons pas ou plus faire, l’école et la question linguistique. L’école revêt une importance capitale en raison du rôle fondamental qu’elle a dans la formation de nos jeunes, dans la transmission de notre culture et le maintien de notre identité. Nous devons poursuivre nos efforts pour la réalisation d’une école entièrement valdôtaine de par ses langues d’enseignement, ses programmes scolaires et son organisation. Mais nous devons aussi dépasser les limites du décret 861 de 1975, qui nous accorde le “privilège” de payer les enseignants, mais qui ne nous donne aucune possibilité d’intervenir sur leurs statuts et leur rémunération. Nous savons tous quel est au sein du système scolaire l’importance des maîtres, des enseignants, et nous nous devons donc d’obtenir la régionalisation du corps enseignant. L’école par ailleurs est le symbole des questions que nous nous posons aujourd’hui et ce, si vous me le permettez, par la présentation de deux paradoxes.
Le premier paradoxe est un signe de faiblesse. Nous l’avons vécu au moment de l’introduction de l’épreuve de langue française à l’examen d’Etat: combien d’unionistes ont-ils signé et appuyé des propositions contraires aux nôtres? Or, toujours en nous rappelant que le salut ne vient pas de l’extérieur, si l’opposition de nos adversaires politiques est chose normale, nous aimerions que au moins de la part des unionistes et du Mouvement il y ait un soutien et un appui clairs et convaincus.
A ce propos, quelles ont été les réactions à nos propositions, à nos actions, à notre volonté de donner application aux principes constitutionnels et statutaires, afin d’éviter toute aliénation culturelle et linguistique? L’expérience de ces dernières années doit nous faire réfléchir. Les premiers refus, les manifestations d’intolérance, de non acceptation de notre école bilingue, de non respect de notre identité linguistique ne viennent pas de la Jeunesse Valdôtaine!
Nous devons souvent défendre un modèle scolaire que nous considérons nous mêmes imparfait et qui est refusé ou non accepté par ceux qui nous accusent ensuite de vouloir le dépasser. C’est absurde! Or, il est vrai, nous devons continuer nos efforts pour qu’il y ait une application intégrale dès dispositions statutaires. Mais, si nous devons réaliser cette école valdôtaine à laquelle nous tous nous aspirons, nous ne pouvons par contre accepter de continuer à prendre des gifles, en offrant toujours l’autre joue. Et alors nous devons nous dire que la situation actuelle n’est pas une situation figée et qu’elle peut être modifiée. Tout dépend du respect, de l’acceptation et de l’application d’une école entièrement valdôtaine. Si nous ne voulons pas continuer à offrir l’autre joue, prenons conscience que d’autres solutions sont envisageables, vu que le résultat qui en découle est trop important pour notre peuple, son existence même étant en jeu. Nous ne pouvons donc continuer à faire semblant de rien.

Éviter le paradoxe de la bonne conscience.

Le deuxième paradoxe que je veux vous soumettre c’est le paradoxe de la bonne conscience. L’on pense qu’après avoir participé à un bon Congrès, après avoir voté une bonne résolution, nous avons tous fait notre devoir de Valdôtains et que – en bonne conscience – désormais quelqu’un d’autre devra prendre la relève: “armiamoci e partite”. Faisons attention!
Nous ne pouvons pas continuer à déléguer cette action uniquement aux institutions (et nous avons la chance d’y être dans les institutions, mais ce n’est pas un droit “naturel”!). II faut à tout prix qu’il y ait un engagement et une cohérence personnels; il est nécessaire d’éviter cette solitude des institutions dans les moments importants de notre vie politique. Au cas contraire il y aura autre chose que le Val d’Aoste tel qu’il existe aujourd’hui.
Au cas contraire je crois que notre peuple se mourra, nos langues et notamment la langue française, disparaîtront; l’identité valdôtaine disparaîtra et nous, nous aussi avec elle, Valdôtains et Unionistes.
Ce n’est pas certainement pas ce que nous voulons et notre présence ici en témoigne. Or, en citant et en rappelant l’ami Pierre Grosjacques, si « nous savons le chemin », il nous faut maintenant le parcourir. Parcourons-le tous ensemble, forts et fiers de notre identité.

M. ROLLANDIN Auguste, Président de l’Union Valdôtaine

«Passer d’une défense passive à une défense active de notre identité»
Un bon prêtre valdôtain, en faisant ses souhaits aux Unionistes pour notre Congrès, en plaisantant un peu, m’a dit: ‘Vous avez du courage: je dois avouer qu’il n’y a plus que l’Eglise catholique et l’Union Valdôtaine qui ont le courage de s’interroger sur leur identité’. Peut-être il exagérait un peu – pour ce qui est de l’Eglise – mais pour l’Union Valdôtaine je crois en effet que nous avons eu du courage à présenter un thème si engageant, si difficile.
Par paradoxe, au moment où tous les autres changent, l’Union Valdôtaine s’interroge sur l’identité. S’interroger sur l’identité – et, de ma part, j’insiste, sur ”l’identité” au singulier: une identité, une identité avec des facettes, bien sûr, mais je crois que pour nous Unionistes, c’est l’identité valdôtaine qui est le sujet de notre engagement.
Le Mouvement se rattache à cela et, en effet, aujourd’hui nous sommes là pour en discuter, en présentant des rapports de personnes engagées dans les différents domaines.
Nous avions, au moment du Congrès de 1999, donné mandat à la Commission de l’Ethnie, qui a très bien travaillé et qui aujourd’hui a présenté un rapport important, d’essayer de voir quelle était la réalité valdôtaine, de quelle façon on pouvait encore se présenter face à ce pari: comment essayer de mieux se comprendre pour reprendre un chemin qui est sans doute toujours plus difficile.
On sait très bien que l’identité est caractérisée par plusieurs éléments qui la définissent, tout en sachant qu’il y a une partie qui est en évolution. Parler d’identité, de comment la maintenir signifie répondre à de nouveaux défis liés à la globalisation économique, à la mondialisation financière, aux grandes migrations, au multilinguisme de fait qui se superpose aux situations linguistiques de base. Parmi les principaux paris de notre temps, nous pouvons en extrapoler trois particulièrement engageants:

  1. comment mettre en jeu l’identité sans la perdre;
  2. comment adapter la devise “Liberté, égalité, fraternité” en “Liberté, égalité, diversité”;
  3. comment tenir bon sur la tradition authentique.


Comment mettre en jeu l’identité sans la perdre.
La discriminante de base pour comprendre s’il est possible de mettre en jeu l’identité sans la perdre passe à travers un choix de fond entre deux conceptions de l’identité comme patrimoine auquel l’on ne peut pas renoncer:
a) l’idée que l’identité soit immuable et figée;
b) ou bien intégrable et sujette à évolution.
Le défi réside donc dans la force de faire évoluer l’identité sans rien perdre, en l’enrichissant avec de nouvelles contributions qui la fortifient et lui donnent une nouvelle sève pour affronter les défis dans un contexte européen en évolution continuelle.
Les identités ont des constantes, mais ne sont pas figées, elles sont heureusement dynamiques. Faisant partie du système Europe, nous aussi nous ressentons du conflit entre le monde occidental et le fondamentalisme, non seulement islamique, mais un fondamentalisme sans adjectifs.
Dans une Vallée profondément chrétienne, à majorité catholique, donc avec des sentiments et des valeurs certains et enracinés, se sont insérées des communautés porteuses de nouvelles idées religieuses, d’une conception théocratique qui ignore la séparation entre la sphère civile et la sphère religieuse, qui considère le pluralisme et la tolérance comme des valeurs négatives à éliminer en tant qu’incompatibles avec les fondements de leur identité.
Il faut que les nouvelles communautés ethniques acceptent de respecter la réalité culturelle de l’endroit. Le principe de la réciprocité et du respect est une condition essentielle pour arriver à la reconnaissance des devoirs, à partir du partage des valeurs sur lesquelles se fondent les institutions démocratiques et pluralistes.
L’attrait de la société pluraliste doit être assez fort pour séduire, conquérir aussi les immigrés les plus “difficiles” et les porter à travailler indirectement sinon directement pour la relance de notre identité. Ce n’est pas un paradoxe: c’est l’unique système pour éviter les guerres.
Nous savons que les numéros nous condamnent. Inutile de se faire illusion. Les données sont très éloquentes. S’il n’y a pas de nouvelles intégrations, les risques pour notre identité augmentent.
Nous devons nous engager pour ceci : une mutation pilotée, qui soit gérée. C’est le seul parachute dont nous disposons pour l’avenir. S’équiper pour soutenir les changements est beaucoup plus difficile que les refuser, les nier ou bien les combattre. La démagogie facile, les proclamations messianiques ont les jours comptés dans tous les secteurs. Si nous estimons d’avoir les idées, la force et le courage nécessaires pour cette entreprise, nous pouvons, nous devons l’affronter avec détermination. En cas contraire, en se renfermant en nous-mêmes pour ne pas voir, nous sommes condamnés à perdre progressivement notre identité et donc à disparaître.
D’autres cultures, d’autres identités ont disparu en peu de temps parce qu’elles n’ont pas supporté le choc biologique de la conquête. Les grandes civilisations des Atzèques et des Incas ont été vaincus non pas par la force des armes, mais par la maladie. Aujourd’hui les maladies plus graves sont le fondamentalisme et l’intolérance. Sans les bons anticorps pour vaincre ces modernes épidémies nous finirons comme les peuples des Amériques.
Je suis convaincu que nous, Valdôtains, nous pouvons supporter ce choc biologique, qui dans un délai fort réduit peut même devenir d’actualité dans un secteur que nous connaissons bien. Quelqu’un sous-estime ce qui se passe dans certains secteurs de notre vie quotidienne, qui représentent, même si en petite partie, notre identité et notre patrimoine. Ce qui se passe aujourd’hui dans la zootechnie, peut paraître quelque chose qui intéresse peu de monde, mais on oublie que là on pourrait vraiment faire disparaître – pas amoindrir, disparaître – une race autochtone qui est étroitement liée à la vie de notre Région.

Comment adapter la devise « liberté, égalité, fraternité » en « liberté, égalité, diversité ».
La globalisation implique la libre circulation des capitaux et il est impossible, non seulement en théorie, mais aussi dans la pratique de bloquer la libre circulation des travailleurs. Le premier conflit se forme entre l’exigence d’une nouvelle main d’œuvre et le tissu social sédimenté dans lequel elle va s’insérer.
Si parmi la population qui accueille les nouveaux immigrés il n’y a pas la tolérance, le pluralisme de valeurs et la solidarité culturelle, naissent les incompréhensions, la haine, les violences, avec des répercussions difficiles à gérer et à recomposer pacifiquement.
Il a été dit « Notre libre société ne se base pas seulement sur la tolérance des différences, mais surtout sur la conviction de la valeur de la diversité. Sans diversité la démocratie s’affaiblit ». La diversité vit s’il y a le respect, s’il y a la reconnaissance réciproque. Dans les rapports entre les peuples, l’histoire récente enseigne quelles peuvent être les différentes attitudes: des guerres fratricides dans l’ex-Yougoslavie ou bien, au contraire, la naissance des Etats-Unis. Le multiculturalisme crée des barrières qui peuvent alimenter les guerres de demain; au contraire, l’inter- culturalisme porte à la construction pacifique d’une Europe nouvelle et fédérale. L’Europe pour laquelle nous devons travailler est différente de l’Europe des Etats qui est ressortie aussi de la dernière conférence de Nice.
Nous croyons, nous nous reconnaissons dans une Europe des peuples, des régions. Elle ne peut pas être une nouvelle superstructure créatrice d’un nouveau centralisme qui oublie les minorités, qui sous-estime la montagne et ses problèmes, qui ne s’occupent pas des problématiques de tous ceux qui, bien que numériquement peu nombreux, croient et revendiquent leur diversité culturelle et linguistique comme patrimoine irremplaçable.
Il faut donc la disponibilité à se confronter avec les nouvelles cultures, mais pour se confronter il faut exister et, surtout, avoir la capacité de dialoguer avec la volonté de se comprendre.
Le souhait est que notre euro-parlementaire puisse faire entendre sa voix dans une assemblée que nous espérons attentive et sensible aussi à l’écho de nos vallées.

Comment tenir bon sur la tradition authentique.

Notre tradition est liée à notre histoire, tant écrite que transmise oralement ou à travers les gestes, les habitudes d’une vie pluriséculaire.
Il y a une recette infaillible pour être moderne, voire d’avant-garde. Il suffit de tenir bon sur la tradition, celle authentique, ne pas abandonner la compagnie des anciens et … attendre.
Tôt ou tard l’histoire les redécouvre et ceux qui étaient considérés anachroniques et réactionnaires jusqu’à hier, sont aujourd’hui acclamés comme les prophètes qui ont su voir loin.
Nous devons donc nous engager avec des moyens modernes pour expliquer les réalités historiques, faire comprendre, apprécier, partager nos raisons, le pourquoi nous défendons la langue, la culture “traditionnelle”, de façon à passer d’une défense passive à une défense active, c’est-à-dire à la valorisation de notre culture et de notre tradition.
Tradition qui n’est pas le folklore. Faire connaître quel est le sens de notre tradition c’est la faire vivre, c’est lui redonner une âme que je crois est dans le but de notre lutte et justement du respect de notre identité qui est l’identité de ceux qui en différentes occasions ont quand même su se reconnaître dans un Mouvement qui a encore le courage de discuter, notamment sur les difficultés que l’école a aujourd’hui.
Je dois à mon tour apprécier cette volonté de remettre l’école à la une du débat, qui passe sans doute à travers une action importante des jeunes. Là où je vois quelques difficultés c’est avec certaines familles et surtout avec le corps enseignant. J’ai eu du mal à voir pendant le référendum des instituteurs et des professeurs qui allaient défendre la position qu’on avait prise comme Union Valdôtaine et comme administration régionale. Je dois avouer que je n’ai presque jamais eu la possibilité de voir des instituteurs, des enseignants participer, défendre les bonnes raisons que nous avions pour soutenir cette cause. Oui: essayer de faire comprendre aux jeunes l’importance de l’école, pour ceux qui ne travaillent pas dans l’école, est encore plus difficile. S’il y avait au contraire un corps enseignant disposé à avoir la complaisance, au moins, de présenter de la même façon les deux aspects de la querelle, je crois que pour les jeunes ce serait un passage important.
Il est important de comprendre que défendre ensemble notre identité, c’est défendre la vie de ceux qui croient encore dans la possibilité d’aller de l’avant. Je ne crois pas qu’il y ait nécessairement du pessimisme au moment où on dit: “Les Valdôtains, comme nous les connaissons, sont en train de changer”. Je crois, au contraire, qu’il y a un réalisme qui nous porte à être même optimistes, à une condition: si nous savons travailler en suivant les lignes que nous avons énoncées ici.

M. VIERIN Laurent, Jeunesse Valdôtaine

«Créer une nouvelle opportunité pour poursuivre finalement l’épanouissement de notre identité et de notre culture par l’école»

Je prends la parole, au nom de la Jeunesse Valdôtaine, afin d’exprimer quelques considérations d’ordre général sur l’identité valdôtaine, et de formuler quelques réflexions sur les raisons d’être de notre spécificité, en essayant d’exposer, de la façon la plus claire possible, la position de la Jeunesse sur ce thème et sur ses aspects fondamentaux.
Avant tout, je tiens à préciser que nous considérons ce Congrès National comme un moment important de l’histoire de notre peuple, car historique est le moment que nous sommes en train de vivre en tant que minorité insérée dans un Etat, qui probablement, dès ce printemps, verra la victoire des forces politiques de centre-droite et des néo-fascistes, depuis toujours ennemis de notre particularisme et de notre autonomie; un peuple, le peuple valdôtain, qui, de plus, est englobé dans une Europe dont les aspects économiques et les phénomènes de mondialisation et de globalisation semblent avoir le dessus, par rapport à l’Europe que nous tous espérions : à savoir une entité souveraine, respectueuse de tous les droits de toutes les minorités – y compris et surtout les droits linguistiques d’autant plus forte qu’elle serait reconnue par tous ses habitants et par tous ses peuples, les grands comme les petits.
Un moment historique, je disais, qui doit quand même nous faire réfléchir pas seulement sur les facteurs externes qui affaiblissent notre communauté, mais qui doit nous imposer une réflexion, aussi, sur notre identité et une sérieuse prise de conscience sur le rôle actuel du français au Val d’Aoste. En bref, nous devons, avant de chercher ailleurs les causes de nos problèmes, commencer par nous faire, tous, un petit examen de conscience.
Oui, le moment est venu de s’arrêter un instant et de réfléchir sur notre identité et sur les effets que 50 ans de Statut spécial, d’assimilation et d’intégration ont eus sur l’identité de notre peuple. Nous vous avons distribué, à ce propos, un ” Dossier Jeunesse” qui résume les considérations que je vais vous exposer, une année de travail de nos jeunes, une prise de position forte et consciente, qui reflète l’âme et les raisons d’être de la Jeunesse. Un travail qui a abouti au projet de résolution que nous vous proposons aujourd’hui.
Ici, il ne s’agit pas de jouer les défaitistes. .. ni les pessimistes. Il suffit d’être réalistes et de regarder autour de nous. La Jeunesse Valdôtaine l’a fait et s’est posé cette question: où allons-nous et que reste-t-il de ce particularisme linguistique qui est la véritable raison d’être de notre identité? Car pour nous l’IDENTITE est d’abord l’aspect linguistique. La civilisation alpestre aussi, bien sûr, mais, et nous le soulignons, est l’aspect linguistique qui fait de la nôtre une vallée différente, par exemple, par rapport aux vallées piémontaises … et cet aspect linguistique, en VdA, signifie français-patois, que l’on ne doit pas mettre en compétition (comme d’ailleurs nos ennemis cherchent à le faire très subtilement), car ils sont complémentaires, le français étant une langue codifiée et donc plus facile à écrire (mais moins parlée), le patois étant la langue la plus répandue oralement.
On ne peut pas nier que le français, actuellement, est dans une position de faiblesse, du fait qu’il est maîtrisé avec difficulté, à cause, entre autres, du système scolaire, et il n’est pas beaucoup aimé non plus par une bonne partie des Valdôtains … Nous avons, donc, essayé d’exposer des réflexions théoriques sur la “condition valdôtaine”, mais surtout de formuler des propositions concrètes afin de modifier la situation actuelle qui ne nous satisfait guère. L’école, nous y reviendrons, car nos efforts se sont principalement concentrés, en cette longue année de travail, surtout sur ce domaine, peut-être aussi parce nous avons vécu personnellement ce système scolaire, ses limites, ses contradictions, et surtout car nous avons assisté, presque impuissants, à tous les événements contre le français à l’examen d’Etat. .. mais nous avons d’abord essayé de nous demander quels sont les autres domaines dans lesquels il est nécessaire à notre avis d’intervenir et les moyens pour parvenir à modifier la situation actuelle?

La famille d’abord: pour ce qui est de la famille, là é est notre conscience et notre esprit valdôtain qui doivent agir et nous guider; nous devons commencer à apprendre à nos enfants à aimer nos langues sans distinction, à les parler, à faire l’effort de s’exprimer en français ou en patois, même si certains mots leur échappent.

Les médias ensuite; la situation est vraiment tragique, le pourcentage de retransmissions (radio ou télé) dans l’une de nos langues étant ridicule; le service public (RAI) cherche à réduire au minimum les interventions en français, les communiqués de presse qui lui parviennent sont systématiquement traduits en italien;
– nous revendiquons, donc, la possibilité d’avoir une chaîne radio/télé valdôtaine, où les données les plus techniques elles-mêmes seraient transmises en français ou en patois; pour ce qui est de la presse écrite, les articles en français se font de plus en plus rares, même dans les journaux valdôtains ;
– nous voulons présenter un projet de réforme de la loi actuelle sur la presse, qui prévoit que les journaux peuvent accéder à un financement régional si 8% au moins des articles est écrit en français. Nous devons changer de stratégie politique; nous ne pouvons plus penser qu’avec l’argent on achète l’amour pour nos langues!

L’administration et la vie sociale: nous sommes convaincus que le projet de l’eurorégion du Mont-Blanc, forme institutionnalisée de coopération transfrontalière, est fondamental pour l’avenir de la Vallée d’Aoste, car cette nouvelle entité politique donnerait de l’élan à l’emploi du français et à une culture qui n’est pas l’italienne. Pour conclure, nous demandons de la cohérence à nos administrateurs dans l’emploi des langues, et dans les actes administratifs et dans leur vie privée, car parfois il y a lieu de se demander à quelle force politique ils appartiennent.
Mais revenons donc à l’école. Au cours de cette dernière année, je disais, nous avons concentré nos efforts et commencé un long travail dans ce domaine, que nous considérons fondamental pour l’avenir de notre peuple et pour la sauvegarde de son identité, car fondamentale est l’éducation que nos jeunes reçoivent dans nos écoles, depuis tout petits.
L’école actuelle du Val d’Aoste ne reflète pas, à notre avis, les valeurs et les besoins exprimés par la communauté valdôtaine et ne transmet pas sa culture et sa civilisation. Elle affirme, en quelque sorte, des principes qui ne nous appartiennent pas. L’enseignement que les jeunes valdôtains reçoivent est semblable à celui de leurs camarades de toutes les autres écoles d’Italie, à part le français, qui est en tout cas traité comme une langue étrangère (du reste, comme l’est l’anglais, hors de la Vallée). L’esprit de cet enseignement, donc, et ses contenus, ne sont pas valdôtains. Le registre de la langue est exclusivement italien. Ce type d’école nous conduit petit à petit vers la “dénaturation” culturelle et vers l’oubli de notre passé et de notre identité. Depuis toujours on demande l’application des Art. 38,39 et 40, mais les a-t-on jamais appliqués?
Il est inutile de nous raconter des histoires. Nous, aux promesses, nous n’y croyons plus!
C’est pour cela que nous revendiquons une école entièrement valdôtaine, où l’emploi du français et de nos autres langues, le Patois, le Titsch, le Toitschu, l’Allemand, retrouveraient la place qu’ils méritent, est-à-dire comme langues expression de notre civilisation. Il y a déjà eu, à notre sens, trop d’ambiguïtés. Le moment est venu de choisir si l’on veut reconnaître le français comme notre langue, si on veut l’empêcher de mourir, ou si l’on préfère continuer à l’utiliser comme simple expression « folklorique », un bon moyen pour tranquilliser nos conscience.
Souvent il est bien dommage que les jeunes aient à le rappeler au « grands », mais il serait bien de traduire dans les faits les principes que l’on proclame haut et fort. Pour nous, les jeunes, le Français
est la langue qui traduit le mieux, avec le patois, la réalité valdôtaine, encore si forte dans les petits pays. Notre proposition est la suivante: à côté de l’école existante, qui continuera de faire croire à tout le monde qu’elle applique le bilinguisme, qui en réalité n’existe pas, nous voulons proposer une école qui poursuive une formation des jeunes dans un esprit d’abord valdôtain, et puis qui leur permette d’avoir, en même temps, une instruction plus vaste et fortement “européenne’: en leur apprenant aussi l’anglais, l’allemand et bien évidemment l’italien.
Nous voulons affirmer en toute tranquillité que notre idée n’est absolument pas de diviser en deux la communauté valdôtaine, mais plutôt de créer une nouvelle opportunité, qui nous permette de poursuivre finalement l’épanouissement de notre identité et de notre culture par l’école.
Notre projet veut être clair. L’idée pourra plaire ou ne pas être partagée, mais il est bien d’en parler, sans penser toujours que nous voulons créer des polémiques, car le débat et la confrontation sont extrêmement importants et ne peuvent que nous faire grandir, tous, ne l’oublions pas. Il faut bien qu’on se dise, en tout cas, que ce type d’école ne peut pas continuer à tuer en silence l’âme et l’esprit des jeunes Valdôtains. Nous sommes les premiers à être pour une société bilingue et intégrée, mais il faut aussi qu’on admette qu’après 50 ans de Statut d’autonomie nos langues sont en train de disparaître, remplacées par l’italien. Donc, nous sommes pour le bilinguisme mais contre ce bilinguisme qui se réalise au détriment de notre culture. Notre position, en tout cas, est nette depuis toujours. Nous, les jeunes Valdôtains, nous réclamons le libre choix d’une école entièrement valdôtaine, où la formation reflétera réellement notre spécificité culturelle.
D’ailleurs, nous voulons aussi rappeler à tout le monde, que nous n’avons rien inventé de nouveau. En parcourant l’histoire récente de notre Mouvement, et, par exemple son programme électoral pour les élections régionales de 1983 ou même ses lignes d’action approuvées par le 2ème Congrès de 1984, nous avons retrouvé les mêmes principes et les mêmes idées: l’école valdôtaine et même la double filière. Et nous avons voulu vous les présenter dans le dossier que nous vous avons distribué.
En conclusion, nous voulons rappeler à tous ceux qui nous ont traités d’extrémistes, de racistes et de “petits Haider”, et qui craignent qu’on ne veuille diviser Vallée d’Aoste, que personne ne veut diviser notre peuple, car notre but, hélas – et je dis hélas – , est simplement d’assurer sa survie, car il est de survie que l’on parle maintenant après 50 ans d’assimilation, et non pas d’épanouissement. Nous voulons rappeler à tous ces gens qui prêchent la liberté, que liberté signifie aussi accepter la diversité et les propositions de ceux qui la revendiquent.
Liberté, surtout, signifie ne pas empêcher qu’une proposition qui veut introduire une possibilité en plus dans ce système scolaire inefficace et aliénant pour notre culture, suive son cours.
Un choix scolaire courageux, certes, mais qui pourrait finalement nous aider à remonter la pente et à retrouver un peu de dignité pour nos langues et notre culture. Une école qui n’a pas la prétention de remplacer l’école actuelle: bien évidemment, ceux qui sont satisfaits de l’école qui existe maintenant pourront tranquillement continuer leur lent parcours d’italianisation.
Mais qu’ils nous donnent, du moins, la possibilité de choisir et qu’ils n’aient pas la prétention de nous obliger à les suivre.